Opinions - 09.10.2013

Haro sur la Caisse générale de Compensation: des chiffres partiels et partiaux en guise de justification!

« Nous avons un déficit budgétaire de 7,4% du PIB, s’exclame le Ministre des Finance et d’ajouter, qu’il provient en grande partie de l’explosion des subventions passées de 1,5 milliard en 2010 à 5,5 milliards en 2013. Le Premier Ministre n’est pas en reste en affirmant à son tour que « seulement 11% de ces subventions sont utilisés pour satisfaire les besoins des plus défavorisés, le reste profite aux classes moyennes et aisées ». On l’aura compris, des dépenses socialement inefficaces, économiquement intenables. Elles  stérilisent près de 15% du budget ajoutent-ils, en chœur,  pour s’assurer de notre bonne compréhension. Il est donc grand temps de mettre fin à cette gabegie. Du bon sens quoi !

Un tour de passe-passe auquel plus d’un est mystifié : la technique de l’arbre qui cache la forêt. Si indéniablement la CGC fait problème, elle n’en est pas pour autant une priorité absolue. Ce choix est politique ! Il cherche d’ailleurs sa « légitimité ».

En réalité, il s’agit d’une storytelling (machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits) savamment orchestrée depuis plusieurs mois, destinée à préparer une opinion désinformée, décontenancée, en quête de solutions rapides et justifiées, comme celles de la « rationalisation » des dépenses de l’Etat. Une évidence trompeuse !

 En réalité une « fabrication » de chiffres tronqués relayés par tout un petit monde d’experts et d’avis autorisés (aux intérêts pas si louables que ça), tétanisé par la tournure prise par la transition « économique ». 
Le ridicule, bien heureusement, ne tue pas ! Encore moins l’imposture et l’escroquerie intellectuelles ! Des chiffres jetés en pâture mais toujours biaisés, sont là depuis quelques temps pour justifier l’injustifiable : « l’absence de changement de cap, ou si l’on préfère l’adoption de la politique économique mimétique d’antan, ne remettant pas en cause les rapports de force internes à l’économie politique tunisienne. Une sorte de continuité macroéconomique qui refuse de prendre concrètement en compte les ressorts socio-économiques du mouvement révolutionnaire» (B.Hibou, ceri, politique africaine n° 124)

Où sont donc passées les études documentées et travaux rigoureux justifiant de telles coupes sombres dans les budgets de ménages ? Qui croire les 4,6% de « pauvres » de l’INS où les 24,7% du Ministère des affaires sociales ? Donnée depuis corrigée par le même INS à 15,8%. Admirez la précision ! Que dire de l’actualisation des enquêtes de consommation dont la dernière officielle date toujours de 2010 ! Rien… la classe pauvre (sic) percevrait 64,8 DT par personne par an de subventions alimentaires alors que la classe moyenne (sic) recevrait 87,3 DT, la classe riche (sic) 86,9 DT. On admire encore la concision, pour quelque chose d’indéfini (le panier) et une classification (strats) pour le moins incongrue et grossière. Rien n’y fait, la pseudo analyse se poursuit. Au niveau régional, le Sud-ouest bénéficie de 97,7 DT, suivie du Nord-ouest (88,5), du Sud-ouest (88,1), Nord-est (86,5), Centre-est (83,4), Centre-ouest (79,2) et le Grand-Tunis (77,7). Autre fait important à noter, 22,8% bénéficient aux entreprises (restaurants, hôtels, cafés, …) et à la contrebande. Quelle indigence d’analyse ! Mais le tour de passe-passe fonctionne comme il se doit et ne peut que soulever indignation et susciter correction !
Pas un seul travail socio-économique rigoureux et digne de ce nom, ciblant les secteurs, les couches, les territoires précarisés, fragilisés. Des notions vagues, jamais circonscrites.

Un vide sidéral qui fait dire tout et n’importe quoi à ceux qui triturent ces chiffres réifiés quasi déifiés. L’honorable ODC (office de défense des consommateurs) y va de son interprétation, affirmant que « 25% de la valeur de cette caisse profite à la classe moyenne et pauvre (re sic), 15% à la classe aisée, et 20% aux étrangers, et la plus grande part, soit 40% va aux produits de contrebande ». Vous observerez les écarts avec ce qui précède. On est en plein délire d’apprentis-économètres: 20% d’étrangers ? Contrebande et Economie de survie allégrement confondues ! Mais comme chacun sait répéter, répéter (même une ineptie)…il en restera quelque chose.
Nul besoin de rappeler ici que la cellule économique de la Présidence, conjointement à l’ITES, avaient ouvert le bal. Que l’INS-BCT leur a emboité le pas. Que nombre des dites élites en font aussi leur cheval de bataille !!! Réduire le déficit public causé par la croissance hypertrophique des subventions (soit dit en passant, où s’effectue l’amalgame entre celles allouées aux produits de 1e nécessité, et celles attribuées aux énergies, gaz, électricité, carburants) tient donc lieu de recette consensuelle. Du bon sens, vous dit-on, sans autre forme d’argument démonstratif et fondé ; addition de sommes hétérogènes qui économisées iraient à l’investissement. On croit rêver !

Des chiffres donc partiaux, en vue de constituer une fiction intériorisable, légitimant une nouvelle ignominie vis-à-vis de larges fractions de la population en détresse (renchérissement du coût de la vie, explosion de la débrouille de survie, désagrégation de l’économie familiale) de ce gouvernement qui cherche désespérément à échapper à une crise des finances publiques qu’il a lui-même provoqué et engendré. De pseudos indicateurs « mis en scène » exclusivement calés sur le chiffrage « comptable » des dépenses de compensation, calcul absurde, qui occulte l’évaluation du « coût social » en termes d’impacts différentiés. Des coupes sombres dans la politique de transferts sociaux pourraient augurer de possibles bouleversements. Mais ce gouvernement n’en a cure (les émeutes du pain semblent avoir été oubliées), car d’évidence ce système, bien qu'il soit inéquitable, reste important pour les ménages précaires, les couches dites moyennes incluses. Celles-ci ne sont plus en forme de Montgolfière comme on veut bien nous le faire croire mais bien plus sérieusement en forme de sablier. Devant le peu de pertinence des données et d’indicateurs contradictoires les meilleurs analystes se cassent les dents opposant pauvres à aisés sans que jamais une décomposition fine et pertinente ne vienne étayer un raisonnement. La culpabilisation est aussi une forme de persuasion.

Rassurons le lecteur : nous sommes bien évidemment pour une refonte du système des subventions mais pas comme le suggère aussi avec insistance le FMI. Convenons de constater que ce gouvernement inverse les priorités. Il devrait se consacrer d’abord à la reconstruction des finances publics dont manifestement il a oublié (sciemment) les ressorts : réduire la fraude fiscale (40% du budget) et la fuite des capitaux (1,5 fois le PIB)…Mais il est aussi vrai qu’à force de ne rien maitriser (explosion du titre I), de manquer totalement de courage, il s’engage dans une politique d’austérité qui n’ose dire son nom  aux antipodes des attentes. Un mal pour un bien ?

La suite des péripéties de cette transition le dira….

Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement
 

Tags : BCT   finance   tunisienne  
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3 Commentaires
Les Commentaires
nejib - 10-10-2013 12:12

la cure d 'austérité commence en général par de dégraissages dan la fonction publique ;or on a embauché à tour de bras dans la fonction publique et non dans les secteurs prioritaires comme l 'éducation ;la santé;les assistantes sociales;les handicapés;les sans domicile fixe qui vivent dans la rue;la cherté de la vie a laminé la classe moyenne.pourquoi ne pas diminuer les émoluments déplacements et privilèges de l 'Etat;cela ferait de sacrées économies et nous reverrait une image solidaire de ce gouvernement vis à vie du peuple

Fathallah - 10-10-2013 13:05

L'adoption et la mise en application des Propositions formulées par Docteur Sraieb dans le dernier paragraphe de son article qui se caractérise par la Pertinence et la Clarté, réclame du courage, de l'engagement et du sens de responsabilité de la part des Gouvernants. Malheureusement, la qualité intrinsèque de celles et ceux qui nous gouvernent au jour d'aujourd'hui, n'appartient pas à la catégorie : "Marque Déposée" mais plutôt à la catégorie: "dernier choix". En Arabe, on dit : "???? ??????". Maintenant, Si Sraieb a parlé des émeutes du pain provoquées, non pas suite à une étude spécifique, mais plutôt l'entêtement du Premier Ministre et son conflit personnel avec le Ministre de l'Intérieur. Pour moi, ce n'étaient pas des émeutes, mais plutôt une Révolution contre le Pouvoir en Place. D'ailleurs, elle n'était pas moins importante que la dernière. La preuve, les 2 Révoltes ou Révolutions ont eu lieu en Janvier et contre le Pouvoir Central.

ABJ - 14-10-2013 11:36

Excellent article qui démontre la mauvaise foi des politiques lorsqu'il s'agit d'exploiter les chiffres en leur faveur. Le tripatouillage des chiffres est un problème endémique qui ne résoudra que par l'instauration de nouvelles pratiques de transparence. Mais bon personne ne semble vouloir le faire!

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