Blogs - 05.10.2013

Le lâche soulagement

Le lâche soulagement

Alors que les difficultés s’accumulent et que la colère gronde, Ennahdha a adopté une  nouvelle ligne de défense, une  parade imparable, pense-t-elle, pour clouer le bec à ses contempteurs après s'être contentée jusque-là de se parer des oripeaux de la légitimité. Relativiser, en est le maître-mot. Il vous dispense de toute autocritique, forcément humiliante.

Le terrorisme? Un phénomène mondial dont la Tunisie n’a pas le monopole. Le document fuité du ministère de l’Intérieur? Même les grandes puissances n’en sont pas épargnées, Cf. Wikileaks. L’instabilité politique? C’est le lot de toutes les transitions démocratiques. Le retard mis dans la rédaction de la constitution ? Sous Bourguiba, ils ont mis trois ans pour rédiger la constitution de 1959. La résurgence de certaines maladies éradiquées avant la révolution, comme la rage, le paludisme ou le typhus ? En réalité, ces maladies n'ont pas disparu, mais la presse, à la solde du pouvoir, n’en parlait jamais. Du coup, les difficultés rencontrées semblent relever de l’ordre naturel des choses. La situation de la Tunisie est  jugée à l’aune de celle des autres pays du «printemps arabe» (Egypte, Libye, Syrie). Comme la  comparaison est à  l'avantage de notre pays, ils ont beau jeu de prouver que nous ne sommes pas à plaindre, tant s'en faut. L'armée est sur le front du Chaambi ou sur nos frontières méridionales. Les groupes terroristes neutralisés. Les cafés bondés, les administrations fonctionnent normalement. Ainsi, ils ont pu traverser cette période difficile, en maintenant tant bien que mal la cohésion nationale. Il reste que depuis les assassinats de deux dirigeants de l’opposition. la crédibilité de ce parti est fortement entamée.  Le parti islamiste n’a pas su mettre à profit l’état de grâce dont bénéficient généralement les nouveaux gouvernants. Mal préparé à gouverner, il a quand même tenu à diriger la deuxième phase de transition, considérant qu’il n’avait pas le droit de se dérober à ce qu’il considérait comme une manifestation de la volonté divine : «On était prêts à nous contenter  d’une simple boutique pour exposer notre marchandise, Dieu nous a offert tout le souk »,  déclarait récemment Rached Ghannouchi. Heureusement, les Tunisiens ne sont pas dupes. Involontairement, par incompétence, le gouvernement d’Ennahdha a mené une politique du bord du gouffre, multipliant les maladresses, traitant avec arrogance ses adversaires qualifiés dédaigneusement de 0,0%, en référence à leurs scores aux élections.  Il a fait preuve d’une naïveté incroyable envers les salafistes, fermé les yeux et même encouragé leurs «campements» qui se sont révélés être de véritables camps d’entraînement militaires, encouragé l’envoi de Tunisiens en Syrie pour y servir de chair à canon, mal géré l’économie du pays, vidé les caisses de l’Etat, recruté à tour de bras dans la fonction publique, alors que celle-ci avait besoin de dégraissage, laminé la classe moyenne, multiplié les bourdes en matière de politique étrangère, en s’empressant de rompre avec la Syrie, mettant ainsi en danger la vie de milliers de Tunisiens et en s’ingérant dans les affaires intérieures de l’Egypte. Pour beaucoup moins que cela, les gouvernements démissionnent dans les pays démocratiques.
En fait, nous assistons à une reproduction à l’identique du scénario égyptien. Dans les deux cas, on constate chez les  gouvernants,  la même persévérance dans l’erreur, la même déréalisation,  la même incapacité à résoudre les problèmes et à répondre aux aspirations de leurs peuples respectifs.     
                                     
Jean Cocteau disait: «Le tact  dans l’audace est de savoir jusqu’où il ne faut pas aller trop loin ». Au cours de  ces deux années de pouvoir, Ennahdha a manqué de tout : de  tact, d’audace, mais aussi de lucidité, de générosité et surtout de patriotisme. Il a tergiversé, rusé pour garder le pouvoir, mener en bateau l’opposition pendant des mois pour gagner du temps et n’a pas su jusqu’où il ne fallait pas aller trop loin. Son atout majeur, ce n'est pas tant son habileté que cette chance insolente d’avoir en face d'elle une opposition indécise, «des mains tremblantes», accrochées à ses lèvres dans l'espoir de l'entendre consentir après chaque assassinat quelques concessions pour pousser un ouf de soulagement, le lâche soulagement.

Hédi Behi