Opinions - 05.08.2013

Sauver Ennahdha d'elle-même pour consacrer une vraie alternance politique en Tunisie !

Il y a une constatation irréfutable en ces circonstances exceptionnelles que vit le pays, après le lâche assassinat du martyr Mohamed BRAHMI et les  attaques sauvages au CHAAMBI :  La confiance entre la Troïka et les Partis d’opposition d’une part et la Troïka et la majorité du Peuple Tunisien d’autre part est érodée.

Si après la démission  de M. JEBALI, il y a eu  reconnaissance de l’échec de la politique suivie par son Gouvernement, ce fait ne semble pas du tout  ressortir jusque là  des déclarations récentes  du Chef du Gouvernement et de certains des dirigeants de la Troïka.

Cette grave crise que notre pays vit dans la peur  et qui augure  d’une  confrontation violente  entre les deux grandes tendances à savoir celle qui refuse catégoriquement  de remettre en question la légitimité électorale de l’ANC  et celle qui croit que cette légitimité est frappée de caducité  par suite d’un large mouvement populaire  de contestations  et de désobéissance civile dans  certaines régions. Ces deux tendances dissimulent  en réalité   une différence de nature du modèle de société tunisienne que chaque partie voudrait instaurer. 

Nous sommes en fait devant une impasse  politique et juridique  qui consiste d’une part aux demandes cumulatives de mettre fin au pouvoir transitoire par la  dissolution de  l’Assemblée Nationale Constituante et la démission du Gouvernement et la mise en place d’un  Gouvernement de technocrates ou d’un Haut comité de Salut National et d’autre part de celles de  retour au dialogue pour trouver encore  des compromis de nature à achever, à brève échéance,  la transition démocratique devant mener le pays aux élections.

Devant une probable rupture  entre les protagonistes avec toutes les conséquences graves qui pourraient en  découler pour  le pays  en raison de l’existence certaine d’ interférences étrangères, de menaces effectives de  terrorisme avec  leurs projets géostratégiques propres et une détérioration drastique de la conjoncture économique, financière et sociale, la Sagesse commande aujourd’hui l’exigence d’une solution qui sauve le pays d’une    « réelle  Révolution » qui déchirerait  le tissu social d’une part  et le retour par le dialogue – consensus à un examen sérieux des problèmes  ayant provoqué la Révolution de la liberté et de la dignité d’autre part. L intérêt supérieur de la Nation et la bonne foi de  toutes les Parties concernées sont seuls capables de faire éviter le pire à la chère Tunisie.

En effet, si la dissolution de l’ANC  semble juridiquement discutable   à moins que l’Assemblée   n’accepte d’elle-même de le décider en tant qu’Autorité souveraine  émanant d’une volonté résultant d’élections libres et démocratiques, la démission du Gouvernement est, par contre, évidente  dans la conjoncture complexe et grave  que vit le pays sur tous les plans.

Quelle solution pratique est à envisager si tous les Partis et autres Forces politiques  représentés à l’ANC et les différentes Parties  au sein de la Structure du Dialogue National initié par l’U.G.T.T , accept

ent de nouveau les règles  du jeu démocratique ?

 Rappelons tout d’abord que l’avant propos du Décret n°6 du 16 Décembre 2011, portant organisation provisoire des Pouvoirs Publics, reconnaissaît à l’ANC, outre l’élaboration d’une Constitution, notamment  le droit « de présider à la gestion des affaires du pays » par référence aux objectifs de la Révolution alors que l’article 7 dudit Décret précise qu’ «en cas de circonstances exceptionnelles empêchant le fonctionnement normal des rouages des pouvoirs publics et rendant l’ANC dans l’incapacité de poursuivre son travail normal, Elle  a pouvoir, à la majorité de ses membres, de déclarer que les circonstances exceptionnelles sont constatées et de déléguer sa compétence législative ou une partie d’elle,  au  Président de l’ANC, au Président de la République et au Chef du Gouvernement. Les trois Présidents exercent les pouvoirs qui leur sont confiés par décret adopté par consensus.»

Sur cette base juridique et en considération de la constatation de données objectives établissant, sur les plans politique, sécuritaire, économique, financier, social et extérieur, les menaces qui visent le pays, l’Etat, la  République  et la cohésion nationale, il apparaît que les conditions sont réunies  pour proclamer que le pays vit des «circonstances exceptionnelles».

Aussi est- il possible d’envisager le scénario ci-après :
1) L’ANC se réunit   et décide à la majorité de ses membres   de confier - pour une période de sept  mois - ses compétences législatives et la gestion des affaires du pays aux trois Présidents qu’ils exerceront au sein d’un  Conseil de la République où siégeront des   membres choisis à raison d’un membre par Parti ou Formation  représentés à l’ANC - y compris le Groupe des  députés indépendants- d’un membre pour chaque  Partie représentée dans la Structure du Dialogue National initié par l’UGTT et de toute  autre structure dont la représentation est jugée nécessaire par le  Conseil qui adopte toutes ses décisions par consensus sous la Présidence du Président de la République. Le Conseil de la République  reste en session ouverte en raison des circonstances,

2)
Le Gouvernement en place devra démissionner selon les procédures en vigueur avant la mise en place du Conseil de la République, 

3)
Le Conseil de la République désigne un Gouvernement - dont la  nature est à convenir- chargé d’exécuter les décisions du Conseil ou celles  qu’impose la gestion courante des rouages de l’Etat à charge d’en référer  au Conseil,

4)
Le Gouvernement dont le Chef est à déterminer par consensus, sera   formé au plus de 12  Ministres reconnus pour leur compétence. Le Chef du Gouvernement et les Ministres  renonceront à leurs droits de se porter candidats aux élections législatives,

5) Les fonctions  du Président de la République et celles du Président de l’ANC seront assumées dans le cadre du Conseil de la République,

6) Le Conseil de la République devra se prononcer sans délais notamment sur les questions suivantes :

a)  Désignation d’un Comité de dix experts indépendants reconnus pour leur compétence  pour préparer, par référence aux travaux en la matière à l’ANC, un projet définitif de la  Constitution et  un projet de   la loi électorale ; le projet qui ne sera pas adopté par le Conseil de la République sera   soumis au référendum dans les meilleurs délais,
b) Le Conseil de la République parachèvera la constitution du Haut Comité Indépendant pour les élections,
c) Les Institutions créées par l’ANC et ayant commencé à exercer leurs attributions poursuivront l’accomplissement  de leur fonction à moins d’une décision du Conseil de la République qui peut recourir à la constitution de Comités ad hoc,
d) Le Conseil de la République décidera :
- de la dissolution des Ligues de Protection de la Révolution et de toutes autres structures  pratiquant la violence,
- de la révision des nominations dans l’Administration Centrale et organismes sous tutelle de l’Etat  depuis le Gouvernement de la Troïka,
- d’une trêve sociale excluant   toutes formes de doléances à caractère matériel  pour la durée du  mandat du Conseil de la République en vue de relancer le processus de normalisation de l’ensemble de l’appareil productif. Il est entendu que les libertés et droits fondamentaux s’exerceront sans aucune restriction. 

7) Le Conseil de la République et  les structures provisoires crées et  résultant de l’exercice de ses attributions,  seront  dissous  de fait dès mise en place des Institutions Républicaines prévues par la Constitution.
La situation de gravité que vit le pays et qui pourrait prendre une tournure de déstabilisation généralisée de L’Etat pour une durée difficile à déterminer,  engage la responsabilité des  courants politiques qui se sont laissés entraîner dans des diatribes partisanes,  non conformes  ni à la vocation naturelle de la Tunisie, ni aux objectifs de la Révolution, ni à son environnement historique et géographique ce qui a  favorisé    une division fratricide du Peuple tunisien musulman dans sa quasi-totalité.

Il est vrai que les électeurs qui se sont rendus aux urnes le 23 Octobre ont subi  des déceptions diverses  par suite du changement des orientations auxquelles ils ont cru  ou par  la dénaturation des objectifs pour lesquels ils se sont engagés. Cette constatation s’est  conjuguée avec les  scènes ridicules  observées lors de certains travaux de l’ANC sur fond d'assassinats politiques et l’exercice courant des menaces et violences. Tous ces éléments ont jeté le discrédit sur l’ANC, 
Dans cette configuration, la Troïka à qui incombe la plus grande part de  responsabilité historique comme entité exerçant le Pouvoir et l’opposition par sa désunion, il  est  un  fait  qui  établit  que  le  Parti de la  Tendance   Islamique ( ENNAHDHA à présent) a, au cours de son histoire  mouvementée, changé  «sa  nature nationale» pour se greffer à des Mouvements de Confrérie développant une stratégie   qui n’a rien à voir avec le Modèle de Société  auquel le Peuple tunisien  aspire  et qui a été enrichi par la Révolution de janvier.

Aussi, la sagesse commanderait  t-elle aujourd’hui à tous les courants politiques et Forces vives de Tunisie de donner l’occasion à ENNAHDHA de se réhabiliter et  de se réconcilier avec l’Environnement National  Tunisien et de se positionner comme toutes les autres formations politiques dans le processus démocratique, s’inspirant de l’alternance politique - formidable- telle que l’on a vécue pour la première fois de notre histoire politique  avec le Gouvernement de M. Béji CAID  ESSEBSI,  par la  renonciation pratique  à des projets incompatibles avec  la richesse du  patrimoine civilisationnel de la Tunisie.

De cette façon, les Forces démocratiques tunisiennes et autres de bonne  volonté  aideront  ENNAHDHA à sauver ENNAHDHA d’Elle-même et d’engager sans tarder le processus de normalisation démocratique de la Révolution de tous les tunisiens ; les intérêts supérieurs de la Nation , la tolérance et la garantie des droits politiques et économiques de toutes les franges des populations et des  Régions et la relance rapide  de l’Economie tunisienne devront  être les éléments incontournables de cette Réconciliation Politique en Tunisie où tout courant politique «  Pacifique, National et Républicain » pourra  avoir  sa place dans le paysage politique tunisien pour l’amour de la cohésion et de la solidarité du Peuple tunisien. La Patrie sera, dans ces conditions, invulnérable. La Tunisie ne peut se permettre dans le contexte décrit ci-dessus une confrontation violente entre  ses enfants !  

L’Histoire ne pardonnera jamais !

Salem Fourati
Ambassadeur de Tunisie à la retraite