Opinions - 15.07.2013

Pétrole et voiture électrique: Les leçons de la faillite d'un homme d'affaires israélien

L’homme – Shai Agassi- était devenu une icône. Un exemple de l’audace des businessmen israéliens. Un éminent représentant de cette « Nation start-up » qu’est Israël, comme le claironnait un  best-seller portant ce titre. En 2009, son nom figura sur la liste de Time Magazine des cent personnalités les plus influentes du monde. Il était régulièrement invité aux grandes conférences internationales comme le Forum de Davos en Suisse où il côtoyait les puissants.

Le projet de Shai Agassi avait pour nom «Better Place» et bénéficia de la protection et des conseils du président sioniste Shimon Pérès, des libéralités du gouvernement israélien et même des attentions de Bill Clinton.
Le New York Times du 27 juillet 2008 rapportait que Shai Agassi, ancien as de l’informatique, voulait faire d’Israël «le leader mondial de la voiture électrique». Aucun pays n’a plus d’intérêt à casser la valeur du pétrole du Moyen-Orient qu’Israël, affirmait crûment et sans détour Agassi. C’est pourquoi, avec l’appui du gouvernement de Tel-Aviv,  il voulait mettre  sur  les routes israéliennes les 500 premières voitures électriques construites par Renault.  L’énergie électrique des batteries de ces automobiles devait venir du soleil du Néguev car c’est «dans ce désert que se trouve le premier champ de pétrole virtuel du monde.», affirmait Shai Agassi qui visait à sevrer les Israéliens d’abord,  tous les humains ensuite, de leur « dépendance » au pétrole arabe. Il se proposait en fait de créer un «système» comparable à celui du téléphone mobile: le client paie pour un certain nombre de kilomètres – au lieu de minutes de conversation – et dispose alors d’une voiture électrique et de sa batterie qu’il peut recharger partout grâce à un réseau électrique dédié dans tout  le pays,  un peu comme l’embryon de réseau allemand. Le client devait trouver aussi, à son service, une chaîne de garages pour changer sa batterie si elle rendait l’âme. Il pourrait même y laisser le véhicule quand il n’en aurait plus besoin.  Agassi – qui est aussi un spéculateur aux dires du New York Times – voulait faire en sorte que sa voiture électrique soit «si bon marché,  si banale que nul ne pensera plus à acheter une voiture à essence», libérant définitivement l’automobiliste de la dépendance au pétrole arabe. Agassi pensait que le réchauffement climatique et des prix du baril de pétrole à la hausse l’aideraient à créer une alternative verte à des technologies de transport par trop polluantes. Agassi, avec ses voitures électriques, plaçait aussi son espoir dans la population israélienne toujours à la pointe du progrès comme chacun sait, n’est-ce pas ? ,  une population toujours friande de technologie up to date comme le montrent les habitants de Tel-Aviv, la ville qui ne dort jamais. Et puis, affaiblir les économies arabes – voire iranienne– était un atout supplémentaire.

En un mot comme en cent, Agassi voyait s’ouvrir devant lui un boulevard, surtout s’il arrivait à résoudre l’épineux et irritant problème de la durée de vie limitée des batteries.

En cinq ans, il arriva à obtenir 850 millions de dollars des investisseurs tels le géant américain General Electric Co, HSBC Holdings PLC, la Banque européenne d’investissement et Israël Corp – appartenant au milliardaire IdanOfer – qui devint le plus gros actionnaire de « Better Place ». Agassi arriva à convaincre Carlos Ghosn, le PDG de Renault : Better Place  pouvait  produire une version électrique de sa berline Fluence. Notre héros des affaires se faisait fort de mettre sur les routes israéliennes 5 000 voitures électriques en 2011 et prédisait qu’en 2016, la majorité du parc automobile d’Israël serait électrique.

En attendant que le monde lui emboîte le pas, disait ce monsieur que la modestie n’étouffe pas. «La fin de l’ère du pétrole ne viendra pas de l’assèchement des puits d’hydrocarbures. Elle s’imposera quand nous refuserons de conduire des voitures consommant ces produits carbonés. Je vous garantis que nous mettrons fin aux besoins de pétrole comme source d’énergie pour les véhicules avant que le pétrole ne disparaisse des puits en exploitation.», prédisait, en 2011,  notre flamboyant capitaine d’industrie.

L’orgueil de l’industrie israélienne…fait faillite 

L’entreprise d’Agassi, «Better Place», devint la fierté d’Israël, conférant au pays un statut de puissance high-tech mondiale. Mais, dans le même temps, écrit le Boston Globe du 26 mai 2013, «la compagnie eut à souffrir d’une forme locale d’orgueil et de démesure»

Le 25 mai 2013 «Better Place» demandait sa liquidation judiciaire et déclarait : «C’est un triste jour pour nous tous. Nous sommes attachés à la vision de Shai Agassi de créer une alternative qui diminuera notre dépendance vis-à-vis des technologies de transport polluantes. Malheureusement, le chemin est semé d’embûches  que nous n’avons pas pu surmonter.»

De fait, Better Place n’arriva à vendre que 1 000 voitures et les investisseurs commencèrent à ruer dans les brancards. En octobre 2012, Agassi fut poussé à la démission et l’entreprise ne revint plus à l’équilibre.

Pour être juste, la voiture électrique n’a jamais été nulle part à la hauteur des attentes. A elle seule en effet, la batterie de la voiture électrique coûte autant qu’une voiture neuve standard. Shai Agassi avait simplement oublié de tenir compte de ces contingences mesquines !

Adieu au pétrole arabe ?

Quoi qu’il en soit des tribulations d’Agassi, tous les Arabes devraient en effet observer soigneusement ce qui se passe en Israël dans le domaine de la recherche scientifique et du savoir. Car les plus grandes menaces israéliennes  ne viendront que de là, tant il est vrai que, sur le plan de la santé, de la sécurité alimentaire comme sur celui de la défense – les drones en particulier –  savoir, c’est pouvoir. Or, Israël est aujourd’hui le pays qui consacre le plus fort pourcentage de son PNB à la recherche, devant les Etats-Unis, la Grande- Bretagne, l’Inde ou la Chine. Shimon Pérès déclarait en 2008 à la revue médicale  Gérontologie Pratique: «Pour entrer du bon pied dans le XXIème siècle, nous devons nous adapter à un nouvel ordre; si vous désirez être forts, fondez votre force sur votre niveau scientifique et non pas seulement sur l’étendue d’un territoire.»

Israël est ainsi le quatrième exportateur d’armes du monde et occupe une bonne position en informatique :Google, Yahoo et d’autres viennent d’y ouvrir des centres de recherche. Israël est le premier producteur de médicaments génériques au monde. Il compte des experts de renom en environnement, en cancérologie, en archéologie et…en géographie ! Ainsi, le Dr Gal Kaminka, un informaticien de l’Université Bar Ilan – dont l’emblème est la Torah et le microscope – et qui se veut l’illustration de l’intégration de la religion juive et de la science – vient de mettre au point un robot programmé pour anticiper et contrer des « actions terroristes » afin de libérer les soldats de l’armée d’occupation des tâches répétitives.
Mais, point de complexes à avoir : Israël bénéficie de très nombreuses aides extérieures pour sa recherche et ses universités ; il  mobilise en outre  tant de  compétences à l’étranger.

Pour illustrer l’orientation anti-arabe d’une certaine recherche israélienne, il y a bien sûr le cas Agassi mais aussi le cas bien connu «des fouilles archéologiques» qui mettent en péril  la Mosquée d’El Aqsa à Jérusalem… afin d’en faire une cité purement juive !(Charles Enderlin, Au nom du Temple. Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013), Seuil, Paris, 2013, p. 268- 270)

La face cachée du pétrole

Utiliser comme combustible le pétrole– que Mère Nature a mis des millions d’années à élaborer – pour le  transformer en gaz carbonique et autres polluants est plutôt puéril. Tout le monde en convient… mais il y a le poids très lourd de l’industrie et des lobbies, bien évidemment. Les pétroliers américains dépensent des millions de dollars pour démentir les travaux scientifiques prouvant le réchauffement du climat dû notamment au gaz carbonique produit par les combustibles fossiles.

Il n’en demeure pas moins que les spécialistes n’ont pas attendu Agassi pour le dire. Mais celui-ci feint d’oublier que le pétrole arabe (ou latino ou norvégien) a de très nombreuses autres applications. Des anesthésiques aux vernis en passant par les réfrigérants, les explosifs, les plastiques, les colorants et les textiles synthétiques, le pétrole a une myriade d’applications qui ont changé la vie (et le confort) de nos contemporains.

La voiture électrique d’Agassi ne pourra probablement se passer des dérivés du pétrole arabe car sa peinture, sa batterie, ses sièges, son tableau de bord, son  volant…seront en matière plastique (ou en composites) dérivée du pétrole !

Et c’est précisément aux potentialités du pétrole que les Arabes et leur  recherche scientifique  devraient  –  entre autres sujets comme les phosphates, la biotechnologie ou les nanotechnologies par exemple – s’atteler plutôt que de rester les éternels consommateurs de ses dérivés, en provenance de Chine ou d’ailleurs,  sous forme de téléphones portables, de téléviseurs à écran plat, de climatiseurs… que l’on voit au Golfe, du Koweït à Qatar et de l’Arabie Saoudite aux Emirats et à Bahreïn. Mais qui dit recherche scientifique dit non seulement des fonds, des laboratoires, des appareils, des techniciens et des ingénieurs bien sûr,  mais aussi respect des droits du chercheur et des libertés académiques.

Or, si le pétrole coule à flots dans certaines parties du monde arabe, ces droits et ces libertés-là demeurent hélas ! aussi rares que l’eau dans le désert ou le chameau à cinq pattes !

A cet égard, la volonté politique est la clé du problème. Celle-ci doit se débarrasser des déclarations fracassantes et creuses de nos ministres et joindre la parole aux actes. L’Alecso et les organismes similaires du monde arabe – UMA comprise – devraient, à cet égard, sortir de leur torpeur et dépoussiérer leurs concepts.

Si les Arabes veulent être les dignes continuateurs d’Al Khawarizmi (qui a légué aux informaticiens les algorithmes), d’Ibn Nafis, de Jaber Ibn Hayyan et d’Ibn El Haïtham et s’ils désirent être présents au XXIème siècle et en phase avec son « nouvel ordre », ils doivent écouter l’ennemi, ils doivent être attentifs à ce que dit Shimon Pérès : «Fondez votre force sur votre niveau scientifique».

M.L.B.