Blogs - 02.07.2013

Ne vous trompez pas d'ennemi!

Ne vous trompez pas d’ennemi!

On a cru au Grand Soir. Après un demi-siècle de glaciation, le temps était venu de nous réapproprier notre destin. On allait, enfin, élire un parlement représentatif du peuple, comme en rêvaient nos parents et grands-parents, instaurer une véritable démocratie et construire enfin une Tunisie libre, fraternelle et solidaire.

Dire aujourd’hui que les résultats sont en deçà des attentes est un euphémisme. Certes, nous avons un acquis important : la liberté d’expression, encore que sur ce point précis, il y aurait beaucoup à dire, notamment sur les tentatives de mise au pas de la presse, mais également sur l'émergence d'une presse de caniveau bien pire que celle qui existait avant la révolution.

Mais, en contrepartie, que d’échecs : la crise économique est bien là avec ses conséquences, l’inflation, le chômage, les mouvements sociaux. Alors que la situation se dégrade malgré les chiffres rassurants de l’INS, on se contente de pratiquer le pilotage à vue en  parant au plus pressé, faute de feuille de route (c'est la première fois depuis le début des années 60 que le pays ne dispose pas d’un plan de développement). A quoi, il faudrait ajouter l'insécurité, la contrebande et le crime organisé. Le tout sur fond de crises politiques à répétition.

Apparemment, le parti dominant n'en a cure. En proie à une véritable paranoïa, il à la tête ailleurs. La priorité des priorités pour lui, aujourd’hui, c’est cette fameuse loi sur l’immunisation de la révolution sur laquelle Ennahdha fait, depuis plus d’un an, une véritable fixation quitte à entraîner le pays dans une guerre civile.

La raison invoquée : la révolution ferait face à des menaces graves et seule cette loi pourrait l’en prémunir. En fait, Ennahdha est mue par le seul instinct de conservation. Il s’agit pour elle d’un combat existentiel et le projet de loi quoi qu'elle en dise est bien destiné à éliminer un adversaire qui ne cesse de monter dans les sondages, si possible à la loyale, par les urnes, mais aussi en mettant tous les atouts de son côté pour éviter les mauvaises surprises..D’où le  noyautage de  l’administration, des organisations nationales (l’UTAP vient tout juste de tomber dans l’escarcelle d’Ennahdha), d’où aussi, ce texte qui restera dans l’histoire comme un bel exemple d’aberration juridique. 

« Seuls 20 mille personnes seront concernées par cette loi », a tenu à nous rassurer Ameur Larayedh, un des ultras d’Ennahdha, l’autre soir sur Attounissia, tout en nous promettant d’autres charrettes dans le cadre de la justice transitionnelle.  Ni« les rcdites ordinaires », ni les « hauts fonctionnaires » du temps de Ben Ali, ni même « les éradicateurs, ennemis de l’identité arabo-islamique » ne seront épargnés.Tout à leur souci de conforter leur mainmise sur l’appareil de l’Etat et d’ostraciser leurs adversaires, les dirigeants d’Ennahdha  ont oublié les vrais problèmes du pays qui se sont accumulés depuis la révolution. 

Mais on n’a rien dit, si on n’a pas relevé le résultat le plus dramatique de ce malgoverno, le délitement de l’Etat. La Tunisie est une vieille nation aux traditions étatiques bien ancrées. Deux ans et demi de règne d'Ennahdha ont suffi pour passer d’un Etat omnipotent, un « Leviathan »comme dirait Hobbes,  à un non-Etat où le citoyen est revenu à «l’état de nature», où règne « la guerre de tous contre tous».

La voie la plus sûre pour restaurer l'autorité de l'Etat est de s'attaquer aux vrais problèmes des Tunisiens. Encore faut-il qu’on s'y emploie. Pour le moment, rien n'est moins sûr. La divine surprise nous viendra probablement des rives du Nil. Les responsables nous disent aujourd'hui que la Tunisie n'est pas l"Egypte. C'est exactement le raisonnement qui tenaient Kadhafi et Moubarak au lendemain du 14 janvier 2011 quand ils affirmaient que leurs pays respectifs ne se trouvaient pas dans la même situation que la Tunisie. On connait la suite.

Hédi Béhi

 

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