Blogs - 07.06.2013

L'impossible dialogue avec les jihadistes

Ils font partie de cette contre-société que les Tunisiens, incrédules, ont découverte au lendemain de la révolution à travers ces jihadistes barbus dans leur drôle d’accoutrement, défilant au pas de course,  avec leurs drapeaux noirs et leurs incantations.

Ils s’appellent  Bilel et Khamis. Le premier, à peine sorti de l'adolescence, porte l’uniforme des salafistes : le kamis et le couvre-chef bien vissé sur la tête ; le second, la soixantaine entamée, la barbe hirsute a choisi la tenue traditionnelle tunisienne avec la jebba et la chéchia rouge serrée d’un turban blanc. L'un se prévaut d’une expérience de dix ans «dans  le domaine de l’islam» (sic), l'autre a un long passé de militant islamiste en Tunisie et en France. Bilel Chaouachi appartient au courant Ansar Echaria, qui est accusé par le ministère de l'intérieur d'être impliqué dans les évènements du Chaambi alors que Khamis Mejri  fait partie des cheikhs salafistes, une association religieuse officiellement apolitique. En fait, notre cheikh est un salafiste avéré, même s'il s'en défend. N'est-il pas sous le coup d'une extradition du territoire français pour ses relations avec des groupes jihadistes dans ce pays ?

Ils se vouent une haine inexpiable, mais savent taire leurs divergences dans l’adversité. C'est le cas depuis l'interdiction du congrès de Kairouan. Ils sont surtout représentatifs de ces propagandistes de la mouvance islamiste qui écument les plateaux de télévision et les studios de radio. D'instinct, et sans avoir lu Tchakhotine ou Gustave Le Bon, ni étudié les méthodes des deux orfèvres en la matière, Lénine et  Hitler, les deux hommes ont prouvé depuis longtemps qu'ils maîtrisaient les techniques de manipulation de masse au point d’être devenus les VRP de la mouvance islamiste.

Avec eux le buzz est garanti. On comprend que les animateurs se les arrachent. Le verbe facile, la répartie vive, ils crèvent l'écran par leur fougue et surtout leur aplomb. Bilel s’est même permis lors d’un débat sur Attounissia de s’adresser au public pendant  cinq minutes pour lui vanter « les mérites du salafisme », laissant pantois et l'animateur et les invités. Ses arguments sont simples, sinon simplistes, mais ils sont  toujours appuyés par des versets du coran, et c'est ce qui les crédibilise aux yeux d'une grande partie de l'opinion.  « Toute propagande écrivait Hitler dans Mein Kampf, doit établir son niveau intellectuel d’après la capacité de compréhension du plus borné parmi ceux auxquels elle s’adresse ». Ceux qui ont convaincu des centaines de Tunisiens à aller en Syrie pour combattre au côté de l’armée syrienne libre ou Jebhet Nosra ne s’y sont pas pris autrement : « vous irez défendre vos frères en religion que le régime mécréant de Bachar veut exterminer », leur a-t-on expliqué, tout en leur faisant miroiter l'accès au paradis, et en attendant, une part conséquente du butin.

L'autre règle est de tout remettre en question, même les vérités d’évidence. Avec Bilel et Khamis, on n’est pas dans le doute philosophique, celui d’El Ghazali ou de Descartes qui est «la voie la meilleure pour parvenir  à une vérité indubitable», mais dans le doute métaphysique qui ne mène nulle part, sauf à s’installer durablement dans le doute. C'est, précisément,  ce qu'ils recherchent : semer le doute dans les esprits, sous couvert de recherche de la vérité. C'est le principe même du négationnisme. Les évènements du Chaambi ? « Qui vous dit que ce n'est pas du théâtre ? », la police salafiste ?  « Des balivernes », l’assassinat de Chokri Belaïd ? « Une nouvelle affaire Kennedy ». Sous entendu, toutes les hypothèses sont possibles. Et les photos des assassins  affichées par le ministère de l’intérieur ?« Cela ne prouve rien». Les salafistes comme chacun sait, ne feraient pas de mal à une mouche. Sans se démonter,  ils sont capables de soutenir les thèses les plus invraisemblables, comme le fait de nier l'affaire de Rouhia ou la culpabilité des salafistes dans l'assassinat du commissaire Sboui, de dénoncer...la démocratie, de réclamer le retour du califat.  

Leurs ennemis sont diabolisés. Tout particulièrement Caïd Essebsi qui a droit à un traitement spécial. Avant de créer son propre mouvement, Nidaa Tounès, en avril 2012, il était couvert de louanges. Depuis, il est voué aux gémonies, au point de perdre son prénom. et même la moitié de son nom. «Si Béji Caïd Essebsi» est devenu Essebsi. Ghannouchi le juge même plus dangereux  que Abou Yadh. On ressasse quelques thèmes pour les ancrer dans les esprits. Il faut immuniser la révolution, empêcher que la contre-révolution, incarnée par  Nidaa Tounès ne revienne au pouvoir. Il est vrai qu'ils n'ont rien inventé. Il y a 2500 ans, Caton usait déjà du même procédé en terminant tous ses discours par "Delenda Cartago est". Comme le moi est haïssable, ils parlent souvent au nom du peuple. Et surtout, ils  se présentent comme les seuls défenseurs de l'islam, les seuls détenteurs de la vérité. 

Faut-il en conclure avec Mohamed Arkoun qu'il faille «désespérer des musulmans» ? : «Des prédicateurs, notait-il au soir de sa vie,  j’en ai rencontré, mais il n’y a pas de discussion possible (...) La parole, le débat sont impossibles (..) Je suis rejeté a priori».

Il y a assurément un problème d'incommunicabilité qui ne sera pas résolu de sitôt. Car on n'a pas le même système de pensée, les mêmes référents. Cheikh Mourou en sait quelque chose pour avoir été agressé  par des étudiants salafistes à la faculté des lettres à la Manouba, il y a un an, lorsqu'il avait essayé d'engager le dialogue avec eux. Ce qui n'aurait jamais dû se produire dans un pays qui est réputé être l'un des plus homogènes du monde. En attendant de mieux nous connaître et d'apprendre à accepter nos différences, les élites devraient mieux défendre leurs idées. Il ne faut pas être grand clerc  pour y parvenir. Il suffit de descendre de son piédestal et de parler au peuple la langue qu'il comprend, sans recourir aux figures de réthorique, ni au style alambiqué qu'ils affectionnent. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.

H.B.



 

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