News - 21.05.2013

Les erreurs des économistes sont-elles graves?

Les économistes sont encore embourbés dans les conséquences de la grande crise financière globale du printemps 2008 qu’une nouvelle crise vient d’éclater. Rappelez-vous quelques jours seulement après l’éclatement de cet important tsunami financier qui a failli emporter avec lui l’économie globale, la Reine d’Angleterre avait posé, lors de sa visite à la fameuse London School of Economics en novembre 2008, une question sur les raisons qui avaient empêché les économistes de prévoir une crise d’une telle ampleur. Cette question en apparence anodine a engendré un débat houleux dans le village d’habitude paisible des économistes. Ce débat a suscité d’importantes contributions et une controverse qui n’est toujours pas terminée. Nous avons contribué à ce débat par un essai dans lequel nous avons expliqué que l’autisme des économistes s’explique par les mutations profondes qui ont touché le champ économique depuis le début des années 1990 avec la convergence des héritiers des deux frères ennemis de la pensée économique, Keynes et Friedman, et l’avènement d’une nouvelle synthèse qui a imposé une croyance forte dans la capacité du marché à gérer tous les déséquilibres (Voir Hakim Ben Hammouda, Nassim Oulmane et Mustapha Sadni Jallab, Crise…Naufrage des économistes? Enquête sur une discipline en plein questionnement, de boeck éditions, 2010). D’autres analystes ont été plus virulents et ont expliqué l’incapacité des économistes à prévoir les excès des années de finance folle par leur accointance avec les milieux financiers. La présence de nos brillants économistes dans différentes conseils d’administration des banques et des organismes financiers rémunérés largement par de la monnaie sonnante et trébuchante sont, pour certains, à l’origine de ce silence complice!  

Le village des économistes ne s’est pas encore remis de ses émotions que la marche du fleuve tranquille a été de nouveau fortement perturbée par une nouvelle crise qui a  touché deux éminents représentants de cette communauté. De quoi s’agit-il au juste ? Un jeune étudiant du nom de Thomas Herndon de l’Université de Massachusetts Amherst essayait de répliquer avec une feuille de calcul Excel les résultats d’un article d’économistes réputés sous la direction de son Professeur Robert Pollin (voir Thomas Herndon, Michael Ash et Robert Pollin, Does high public debt consistently stifle economic growth ? A critique of Reinhart and Rogoff publié le 15 avril 2013). Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils constatèrent qu’il y avait une erreur importante dans le calcul. En effet, les auteurs avaient omis de rajouter 5 pays dans le calcul d’une variable et le fait de les rajouter avait eu un effet important sur le résultat en question.

Certes, en soi cette erreur de base dans un article économique de haut de niveau est déjà préoccupante. Mais, elle est d’autant plus grande que cet article a été écrit par deux prestigieux économistes de l’Université Harvard : Ken Rogoff, l’ancien économiste en Chef du FMI et Carmen Reinhart qui ont écrit récemment un ouvrage devenu la bible dans l’analyse des crises globales («This time is different. Eight centuries of financial folly», Princeton University Press, 2009). Par ailleurs, cet article a été publié dans le nec plus ultra des revues de la recherche économique, l’American economic review où la sélection et la revue des articles pour publication sont des plus dures (l’article est intitulé Growth in a time of debt, American economic review, vol 100, n°2, mai 2010). 

Mais, plus que les considérations techniques, ce sont surtout l’impact politique de cet article qui est à l’origine de cette polémique qui est allée bien au-delà du cercle restreint des économistes. Car que mentionne exactement cet article ? Il explique tout simplement que le rythme de croissance des pays ayant une dette importante est moins soutenu que celui des pays ayant une faible dette. Plus particulièrement, Reinhart et Rogoff ont établi le seuil d’une dette par rapport au PIB de 90% au-dessus duquel la croissance moyenne d’un pays est inférieure de 1% par rapport aux autres. Ce résultat a eu une influence considérable non seulement dans le monde des économistes mais surtout dans le domaine des politiques économiques. En effet, il justifiait clairement que la croissance en temps de dette est faible et qu’il fallait par conséquent réduire les dettes publiques afin de relancer la croissance économique.

Cet article a contribué largement à la remise en cause des politiques de relance keynésienne remises à l’ordre du jour dans le contexte de la crise globale. Il a renforcé le camp des défenseurs des politiques de stabilisation ou d’austérité dans le débat global qui les opposait à ceux favorables à la poursuite des politiques de relance afin de sortir de la grande crise. Cet article a été cité par le Président Obama dans l’un de ses discours en 2010 et il est devenu rapidement la référence ultime des politiques d’austérité particulièrement en Europe sous influence allemande et qui défend ses politiques bec et ongles en dépit d’un niveau de crise sociale et d’exclusion sans précédent.

Les auteurs ont reconnu leur erreur dans une contribution récente à l’International Herald Tribune même s’ils persistent à défendre la consolidation budgétaire (The austerity debate des 27 et 28 avril 2013). Par ailleurs, les langues se sont déliées depuis et on évoque d’autres contributions d’éminents économistes qui ont justifié les politiques d’austérité et qui se sont avérés plus tard erronées. On rappelle à ce niveau l’autre grand défenseur des politiques d’austérité, Alberto Alesina de la prestigieuse université de Harvard, et son fameux article de 2009 co-écrit avec Silvia Ardagna dans lequel ils démontrent non seulement que les politiques d’austérité sont nécessaires mais qu’elles peuvent avoir des effets expansionnistes (Large Changes in Fiscal Policy: Taxes versus spending). En quelques années, Alesina est devenu le grand gourou des politiques d’austérité particulièrement auprès de la Banque centrale européenne, nouvelle gardienne du temple de l’orthodoxie économique du temps de la présidence Jean-Claude Trichet. Or, les résultats de cette étude ont été remis en cause en utilisant de meilleures données par un autre gardien de l’orthodoxie, le FMI, passé depuis dans les rangs du pragmatisme sous la houlette de son ancien Directeur général le keynésien Dominique Strauss-Kahn (voir IMF, From stimulus to consolidation : revenue and expenditure policies in advanced and emerging economies, 2010).

En somme nous sommes face à la faillite des justifications théoriques des politiques d’austérité mises en place par beaucoup de pays et un appel à un renouveau de la réflexion en matière de politique économique pour sortir d’une crise sociale sans précédent qui a été à l’origine, comme c’est le cas dans les pays du printemps arabe, de la chute des pouvoirs en place. Est-ce suffisant pour remettre en cause les politiques d’austérité ? Pas si sûr, répond le bouillonnant prix Nobel Paul Krugman, car les politiques économiques se nourrissent de la misère de la pensée quotidienne «nous vivons au-dessus de nos moyens» alors que nous devrions dire «nous ne dépensons pas assez» (Voir The 1 percent solution dans International Herald Tribune des 27 et 28 avril 2013). Mais surtout Krugman souligne que les politiques d’austérité sont des choix sociaux qui répondent aux intérêts des 1% les plus riches de la population qui ne voient d’issue à la crise des finances publiques que dans la réduction des dépenses sociales en faveur des plus pauvres.

Ce nouvel épisode montre qu’en dépit de la quête effrénée de scientificité, l’économie reste une science sociale et les économistes sont capables de se tromper. Ici comme ailleurs, il est temps de sortir du conformisme et se rappeler que l’audace est la meilleure réponse aux incertitudes par temps de crise. Il est important de relancer la croissance car c’est la dépression qui rend les dettes insoutenables!

Hakim Ben Hammouda

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