News - 05.03.2013

Hassine Abbassi: Quel gâchis !

«Pourquoi en est-on  arrivé là, faire subir au pays tant de violence, verser dans l’assassinat organisé et torpiller le dialogue national ?», se demande avec une profonde indignation Hassine Abbassi, secrétaire général de l’UGTT. Encore sous le choc du meurtre de Chokri Belaid qu’il devait recevoir le matin même de son assassinat, il se dit profondément déçu par  la classe politique, «incapable de faire prévaloir l’intérêt du pays au-dessus de celui de leurs partis».  Déçu, aussi, de la Troïka au pouvoir qui a plongé la Tunisie dans d’interminables conciliabules pour donner un nouveau souffle à son gouvernement. Déçu, enfin, de tous les « sages » qui n’ont pas pu ou su faire entendre raison aux différents protagonistes. «Pourtant, rappelle-t-il, la proposition de tenir une conférence nationale pour débattre de toutes les questions essentielles et leur trouver solution aurait pu nous éviter tous ces dérapages».

Revenant sur l’origine de cette initiative, puis son torpillage par Ennahdha et le CPR, il ne désespère pas pour autant de pouvoir la relancer, comptant sur le retour de la sagesse, après tout ce que le pays a enduré ces derniers temps. Sur le nouveau gouvernement, il indique que l’UGTT avait soutenu «avec des observations» l’option de Jebali pour un gouvernement de technocrates regrettant qu’elle ait avorté. Il  espère que son successeur, Ali Larayedh, fera le bon choix, estimant que l’essentiel est de bâtir un consensus sur l’étape à venir devant conduire vers des élections dans les meilleures conditions possibles.

Dans le bureau historique qu’avait occupé Habib Achour, au premier étage du siège emblématique de la centrale syndicale, place M’hamed-Ali, Abbassi ne retient guère ces accusations. «Le sceau de l’échec marque le front de tous les responsables politiques qui ont pratiqué le double langage et se sont dérobés à leurs responsabilités à l’égard de la patrie». «Cette crise, souligne-t-il, l’UGTT l’avait prévue dès le mois d’avril, lorsqu’elle a constaté que de grandes questions étaient posées avec insistance sans être prises en charge avec l’importance et la célérité qu’elles méritent. Les points de discorde se multipliaient et les divergences s’approfondissaient ».

La réunion des forces politiques et des composantes significatives de la société civile s’imposait en urgence pour bâtir un consensus sur les points d’achoppement. D’où l’initiative de tenir une conférence nationale ouverte à tous, sans exclusion. «Cela relève du rôle patriotique de l’UGTT, dit-il, qui a toujours affiché son indépendance à l’égard de tous et ne peut être considérée comme partisane ou motivée par des ambitions politiciennes ».

«Au départ, indique Abbassi, cette proposition consignée dans un document de travail remis à tous  a bénéficié d’un bon accueil auprès de tous ses destinataires, la Troïka en tête. Rached Ghannouchi est venu nous donner son accord. Mohamed Abbou aussi, au nom du CPR, surtout que cette conférence ne se substitue ni au gouvernement ni à l’Assemblée nationale mais émane d’une organisation tout à fait neutre et se contente d’être une force de proposition. Les trois présidents m’ont également exprimé leur adhésion. Malheureusement, dès qu’on a fixé la date de la conférence, la position d’Ennahdha et du CPR a complètement changé, arguant de la participation de Nida Tounes. Nous avons beau leur expliquer que nous ne saurons jamais être dans l’exclusion , que les trois présidents de la Troïka discutent avec Nida Tounes en tant que présidents d’institutions mais aussi de leaders de leurs partis et que nous n’admettons aucune tutelle sur notre décision souveraine d’inviter ou de ne pas inviter… ».

«Campant sur sa position, la Troïka s’était alors empressée d’intensifier ses concertations internes pour apporter des réponses à certaines grandes questions telles que l’ISIE, l’agenda pour la finalisation de la constitution et la tenue des élections et autres. De ce point de vue, nous pouvons considérer que notre conférence nationale, qui a eu le mérite de faire accélérer cette concertation, a partiellement réussi. Nous aurions cependant tant aimé voir que tout cela soit annoncé lors de ces assises que nous avons quand même tenues le 16 octobre dernier et dont a émané une motion générale. Un comité a été constitué et la porte a été laissée ouverte à ceux qui voulaient s’y joindre».

«Grande fut cependant notre surprise, poursuit-il, de voir les attaques fuser contre nous à partir de l’Assemblée nationale constituante, nous accusant de vouloir remettre en cause sa légitimité. La violence est montée d’un cran, passant des attaques verbales aux actes physiques. Les ligues de protection de la révolution ont proliféré et voilà un climat d’insécurité peser lourdement sur le pays. On connaît la suite : incendie de quatre de nos locaux régionaux, attaque le 4 décembre de notre siège à Tunis, mais aussi divers incendies de postes de police, de mausolées et autres. Comme si certains avaient voulu semer la panique pour terroriser les Tunisiens et les contraindre à accepter les diktats. Les différends politiques n’ayant pas été aplanis, la violence s’est propagée sur fond de laxisme et de démission».

Où sont les sages ?

Pour Hassine Abbassi, la violence  politique, comme en témoigne le meurtre de Chokri Belaid, n’a jamais atteint un tel niveau en Tunisie depuis des décennies. «Je n’arrive pas à y croire, s’indigne-t-il avec une réelle émotion, en voyant le pays se disloquer et chacun essayer d’exhiber ses biceps en ameutant ses troupes et les poussant dans la rue. Chacun peut le faire et nous nous y sommes refusés. Le pays a aujourd’hui besoin non pas de démonstration de force, mais de sagesse».

«La révolution, souligne-t-il,  réussie par des jeunes là où les partis politiques avaient échoué, n’est-elle pas censée réaliser l’union nationale, consacrer la démocratie et le vivre-ensemble, garantir une répartition équitable des richesses nationales et instaurer la justice sociale ? Je me demande encore pourquoi la Troïka a été incapable de parvenir au remaniement et  cette impuissance a abouti à cette situation qui a permis à la violence de s’installer pour aboutir aux assassinats. Où sont les sages ? ».

Malgré l’ampleur de sa déception, Hassine Abbassi garde espoir. «Je ne perds pas confiance, dit-il, de voir des patriotes qui placent en tout premier lieu l’intérêt de la Tunisie et s’engagent à défendre la patrie, œuvrer pour amener les parties au conflit à s’asseoir autour d’une même table pour réfléchir ensemble aux solutions les plus appropriées. Nous avons besoin de concorde pour aller vers les élections».  

Sur l’initiative Jebali, Abbassi indique que l’UGTT, consultée, l’a approuvée en apportant quelques observations. «Mais nous avons constaté, dit-il, que certains parmi les siens voulaient le sanctionner  pour ne les avoir pas consultés au préalable. Et c’est ainsi que son projet a été avorté. J’ai été extrêmement surpris de voir les Tunisiens se passionner pour les délibérations du Conseil de la choura, scrutant le ciel  pour voir si la couleur de la fumée qui se dégage de la salle de réunion est blanche ou grise, alors que le président de la République avait toute la latitude de charger la personne idoine d’après lui pour former le nouveau gouvernement, compte tenu de la situation critique dans le pays. L’économie est effondrée, la confiance érodée alors que l’inflation a atteint un niveau record avec des conséquences dramatiques sur le pouvoir d’achat. Les premières victimes de cette situation, ce sont les travailleurs dont beaucoup ont perdu  leur emploi, entraînant une dégradation de  leurs conditions de vie. Pour ne pas mettre de l’huile sur le feu, l’UGTT avait décidé, par esprit de sacrifice, de surseoir à toutes les grèves pourtant aux revendications si pressantes et si légitimes. Le problème est de savoir combien de temps les travailleurs pourront  tenir ?»

«Ce que nous espérons, conclut-il, c’est que le nouveau gouvernement parvienne à réunir une bonne équipe pour s’atteler aux urgences. Au-delà de sa composition, ce qui compte le plus pour nous, c’est le consensus sur l’étape à venir pour conduire le pays vers des élections libres et transparentes».

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