Opinions - 22.01.2013

Chronique d'un remaniement diachronique

Dans  les démocraties rompues à l’exercice de l’alternance, les majorités élues connaissent le lendemain du scrutin aussi bien l’ivresse de l’état de grâce, qu’elles pâtissent de la gueule de bois  à l’issue des fameux 100  jours de vérité. Ils se mettent à bafouiller leur feuille de route, désarticulent leur discours, pour finir dans le  mal- entendu. Commence alors  la correction des erreurs de casting ministériels concoctées-à la va vite que je te récompense- dans l’arrière cuisine électorale, puis intervient la révision du calendrier arrêté dans l’euphoriediscursive.  Pourquoi  procède-t-on   à ce  remaniement ? Le tempo, le ton, le timing,   tout semble corroborer une sortie de route,  un dérapage incontrôlé.

La Troïka accéda au pouvoir dans une atmosphère  viciée où l’amertume des partis progressistes battus, le disputait à la culpabilité des  néophytes  « zéro-virgule » partis à l’abordage en ordre dispersé. Le premier gouvernement de transition  prit le pouvoir face à la division populaire,  dans un état de  disgrâce. Un gouvernement à légitimité restreinte, est frappé à sa naissance par  une malformation congénitale. Les symptômes criants, cyrards du mal ne sauraient tarder à se manifester dans la douleur et l’abattement.
Deux années s’écoulèrent, médiocres,angoissantes parfois,tragiques. L’esprit de la révolution s’éclipsa à la faveur du spectre  d’une involution des valeurs et des utopies.

Le bilan économique catastrophique, qui au-delà des contraintes de crise internationale dévoile les carences d’une gouvernance où la fidélité des acteurs comptait plus que leur savoir-faire.

Une Troïka cache-misère où les deux alliés accessoires pèsent aussi lourd qu’une feuille de vigne entre les jambes d’un estropié.A se demander si le vainqueur de l’élection s’obstine à voir la réalité politique le nez collé à une grille de lecture qui flatte son image dans un trop beau  miroir? Un prisme d’autant plus déformant que le paysage politique est travaillé en souterrain par des mouvements tectoniques. A force de se regardermarcher, on fait fausse route alors que le sol se dérobe sous les pieds. La coalition progressiste était en génèse  plus rapide  que l’acuité du guide suprême ne put le percevoir. Les visionnaires ne courent pas les rues. Un chef d’orchestre qui fait fi de la discordance des temps compose la cacophonie, les mauvais calculs aboutissent à de fausses additions,à d’abusives soustractions. Les faits sont têtus.

Un remaniement s’imposa, il traîne au rythme des tractations de coulisse,   des refus polis de ceux qui se gardent de jouer les supplétifs jetables. Quel que soit l’issue de l’ajustement, Ennahdha ne saura calmer les esprits échaudés par tant d’approximation. Le remaniement  arrive à contretemps quel qu’en sera  l’ampleur,ou la redistribution des portefeuilles.Il est  d’autant plus tardif que la coalition de trois partis de l’opposition a changé  foncièrement la donne. Pressés par leurs bases, les leaders de Nidaa Tounis, D’Aljoumhouri et du Massar finirent par s’assoir sur leurs ambitions personnelles pour donner corps à une autre Troïka. De quelle représentativité le gouvernement Jbali (II)pourra-t-il désormais se prévaloir alors que l’échiquier politique a vu son centre de gravité glisser vers une opposition désormais structurée ? Les rapports de force ont changé, rendant l’équation plus complexe à résoudre, pour R.Ghannouchi lui-même. Troïka contre Troïka !  On comprend le refus de modestes formations politiques   de participer au replâtrage du dispositif gouvernemental. La  nouvelle coalition progressiste dissuade les velléités opportunistes de convoiter des maroquinsau risque de se griller définitivement sur l’autel de l’échec de la « combinazione » à l’italienne. Pour Ennahdha la situation est critique, parce qu’un remaniement aussi  large soit-il,  serait du sparadrap sur une jambe de bois. En bref le déphasage entre le pays réel et la classe politique n’a rien à envier à la situation d’avant la révolution. Il y a autant de distance entre les partis et leurs bases que de décalage entre  gouvernants et  population. L’opposition effective est en dehors de l’ANC, nous avions connu cela pendant 50 ans.

Une même question  d’avant le 14 janvier interroge  les  protagonistes Troïka comme opposition, qui porte moins sur le renouvellement de la classe politique, que sur la manière de faire. Qui gouverne  qui ?
La classe politique tunisienne, avec ses  vieux briscards qui ont roulé leur bosse au RCD ou dans l’opposition avec ses jeunes loups aux dents qui rayent le parquet,  reste néanmoins archaïque  dans sa façon de faire, de dire la politique. Elitiste et /ou populiste  elle demeure coupée du peuple qui bouda à 50% ses premières élections démocratiques, la réédition de cette contreperformance n’est pas à exclure parce que les mêmes causes engendrent les mêmes effets. Si au moins un  personnage emblématique sort du lot pour mettre tout le monde d’accord, fort d’un consensus plébiscitaire, un pacte national pourrait émerger. L’homme providentiel, on a déjà donné, à moins que ce soit la femme providentielle, c’est tentant ! Le seul remaniement qui vaille par cette période de crispation et d’affolement serait de mettre en place un gouvernement d’union nationale en confiant les ministères régaliens à des personnalités indépendantes…Il est permis de rêver !

Mohedine BEJAOUI