News - 10.08.2009

Quand Hédi Bouaroui revisite Sfax des années cinquante

L’été est sacré pour Hédi Bouraoui, la référence obligée en Amérique du Nord de la littérature comparée, notamment maghrébine. Libéré de ses mandats de Doyen à l’Université de York (Toronto, Canada), il sillonne le monde à l’invitation de prestigieuses universités et continue à publier régulièrement poèmes, romans et essais.

Aujourd’hui, son œuvre riche de plus d’une cinquantaine de titre est traduite dans plusieurs langues, de l’italien au bulgare, de l’anglais à l’arabe. Sans relâche, il lit, écrit, publie et donne des conférences. Sauf en été qu'il consacre, exclusivement à sa Tunisie natale qu’il aime à redécouvrir dans ses moindres recoins et Sfax, « sa » ville qui ne cesse de l’habiter.

Parmi ses nombreuses lectures de vacances, méticuleusement préparées de longues date, il a eu l’agréable surprise de tomber cet été en Tunisie, sur l’ouvrage de Taoufik Abdelmoula : « Cet Homme doit mourir ». Un roman historique qui a profondément interpellé Hédi Bouraoui, pour plus d’une raison. De Paris, où il séjourne quelques semaines, il a bien voulu accéder à la demande de Leaders et nous confier ses impressions. A savourer.

Taoufik Abdelmoula nous présente dans ce très beau livre l’histoire réelle d’une très grande page d’histoire de la résistance de Sfax contre le colonialisme. Les abus de pouvoir des colons et de l’autorité civile et policière française ont déclenché pendant des générations une injustice flagrante doublée de l’humiliation des « indigènes ». Ce qui a donné naissance à une résistance savamment orchestrée par les grandes familles sfaxiennes, appuyant ainsi les «Fellagas, » autrement dit, ceux qui ont pris des armes pour chasser les occupants. L’auteur de ce livre cite des personnes connues de l’époque des années ’50, et relate les événements tournant autour de l’assassinat d’un renégat, Cheikh Ahmed Belgaroui, soutenu dans ses vols et ses exactions par la police française.

La plus grande partie du livre relate la constitution du parti politique national, Destour et Néo-Destour, et les activités secrètes judicieusement menées par Si Sadok Abdelmoula, père de l’auteur, et autres membres de sa famille, en plus des notables des familles Kria, Kessontini, Charfi, Boulila, Mdhaffar, Essebaï, Bouricha, Trabelsi, et tant d’autres...

Un livre qui fourmille de péripéties

Très intéressants les détails des péripéties autour de l’élimination de ce renégat détestable. Ce fut Mohamed Ben Romdhane qui, ayant fait la guerre d’Indochine, a courageusement logé quatre balles dans le corps de Belgaroui assis dans son bureau, les pieds en l’air à Bab Kosba. Cet événement a fait que les Belgaroui et les Français se sont vengés en tuant le leader charismatique Hédi Chaker.

Il est impossible de résumer ce livre tellement il fourmille de péripéties et d’événements largement étayés par la presse en français et en arabe, et parfois aussi par Le Monde. Taoufik Abdelmoula a effectué une recherche très sérieuse, et a recueilli des informations pertinentes de plusieurs Sfaxiens  très connus dans la région. L’un d’eux, le jeune Ahmed Chebchoub, épicier dans mon quartier, était aussi un de mes amis. Patriote exemplaire, un peu plus âgé que moi, il fréquentait des policiers tunisiens qui vont parfois l’aider dans son engagement.

La plus grande partie de l’histoire s’est passée à Moulinville.  Ce livre a été pour moi une révélation extraordinaire puisque j’ai connu la plupart des actants, ou du moins des membres de leurs familles. Le dévouement de ces personnes, qui se sont sacrifiées et qui ont été parfois victimes, commande le respect de tous les Tunisiens. À la rentrée d’exil de Habib Bourguiba, notre leader national devenu Président, ce fut le couronnement de toutes ces activités secrètes en vue de l’autonomie et éventuellement de l’indépendance du pays. Malheureusement, les personnes citées dans cette biographie historique resteront dans l’ombre.

Un  livre à l'allure d'un roman policier

Ce livre a l’allure d’un roman policier dont on voudrait tourner rapidement les pages d’un suspens soutenu. D’ailleurs, la police joue un rôle important, surtout l’inspecteur Abdelaziz Hammami, qui marchait sur une corde raide entre son travail avec les Français et sa détermination à protéger les Néo-Destouriens. L’auteur donne aussi des photos en noir et blanc de tous les participants français et tunisiens de cette saga historique qui nous a tous marqués.

J’ai beaucoup apprécié le talent de l’auteur lorsqu’il décrit l’art de vivre des Sfaxiens avec leurs propres valeurs forgées depuis les temps immémoriaux. Ce qui distingue cette région c’est la force de caractère de ses habitants, et des traits tel que le sacrifice, l’amour familial, le dévouement au pays, la générosité, la subtilité du relationnel, le sens pratique, la faculté d’adaptation, une éthique et une tolérance à toute épreuve…

Ce livre magnifique est à lire et à relire simplement parce qu’il capte une des plus glorieuses pages de la résistance sfaxienne qui n’est qu’un exemple du soulèvement général de la population tunisienne contre le colonialisme et ses méfaits.

Les anciennes générations comme les nouvelles devraient se pencher sur cette « flambée » qui illumine et illustre le dévouement et l’héroïsme de nos compatriotes. En un mot, l’amour de la Tunisie.

                        Hédi Bouraoui
                        Université York
                        Toronto, Canada

Taoufik Abdelmoula. Cet homme doit mourir, ou La flambée de la résistance à Sfax.
Sfax, Tunisie : Med Ali Éditions, 2009. 424 pp.

Lire aussi Sfax: Un été 53

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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2 Commentaires
Les Commentaires
Claudette Broucq - 10-08-2009 22:33

Bravo à l\'auteur de cet article qui non seulement offre un éclairage sur le roman de Taoufik Abdelmoula, mais rend un hommage à Hédi Bouraoui, enfant de Sfax toujours fidèle à sa Tunisie natale. Leaders répare ainsi une injustice, celle de laisser encore par trop dans l\'ombre le talent de cet écrivain qui, pour avoir quitté son continent natal, n\'en reste pas moins viscéralement attaché à son devenir et à son passé. Dans toute son oeuvre, jamais l\'Afrique n\'est laissée à l\'écart, il y est toujours fait référence, ne serait-ce que par l\'origine des personnages principaux. C\'est bien connu, \"nul n\'est prophète en son pays\" mais n\'en demandons pas tant ! Un peu de reconnaissance serait la bienvenue, non au sens de gratitude mais à celui de \"faire connaissance de nouveau\".

ANNA ATOUI - 25-07-2012 12:03

je suis pas convaincu que les sfaxiens étaient un jour des fellagas.....;c'est de l'impossible même les noms des familles designers sont impressionnant: ça me fait rire vraiment , de toute façon les fellagas étaient de l'exterieurs de la ville ils ne font jamais du centre en plus la peur toujours les envahissent jusqu'au nos jours ....

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