Cadres juridique, comptable, fiscal et social régissant les associations en Tunisie
Le principal apport de la révolution du 14 janvier est sans doute la Liberté dont le peuple tunisien profite aujourd’hui après des décennies de dictature. Dans la société civile, cette liberté s’est particulièrement illustrée à travers la multiplication exponentielle du nombre d’associations créées depuis la chute de la dictature venant s’ajouter aux associations actives déjà existantes. Ces associations opèrent dans tous les domaines, sportif, philanthropique, humanitaire, culturelle, etc.
La profusion des associations s’explique aussi par l’institution d’un nouveau cadre juridique régissant les associations. Le décret loi n° 88 du 24 novembre 2011 a en effet été promulgué pour rompre avec la vieille loi de 1959 et surtout avec le système des autorisations et des enquêtes préalables.
En parallèle, ce nouveau cadre législatif qui régit les associations prévoit une panoplie d’obligations d’ordre juridiques, comptables, financières et même organisationnelles. A ces obligations, s’ajoute un cadre fiscal et social relativement élaboré, mais bien souvent ignoré par les associations.
Nous tâcherons à travers cet article, d’exposer les principaux éléments dans les régimes juridique, fiscal, social et comptable régissant les associations. La maîtrise de ces régimes peut constituer une niche importante pour notre profession. En effet, la profusion des associations, après le 14 janvier 2011, ramène avec elle d’importantes opportunités pour les comptables, tant en en ce qui concerne nos métiers de base (à savoir la tenue et l’assistance comptable), qu’en ce qui concerne les autres aspects de la vie de l’association (constitution, conseil fiscal, gestion financière, formation, etc.).
La connaissance par les associations de ces obligations est primordiale non seulement pour une gestion transparente et un bon contrôle interne, mais également pour garantir la pérennité et l’indépendance de ces structures. En effet, une association peu soucieuse de ces obligations et des dirigeants inconscients des risques qui découlent de ces obligations sont plus vulnérables face aux autorités et sont par conséquent moins indépendants.
Le cadre juridique
Le décret-loi n°2011-88 garantit la libre constitution des associations et abandonne toute procédure d’agrément et d’autorisation préalable.
L’association est constituée entre personnes physiques de nationalité tunisienne ou résidentes en Tunisie et âgé d’au moins treize (13) ans. Elle suppose la rédaction de statuts portant les mentions obligatoires suivantes :
- Le nom officiel de l’association en langue arabe et en langue étrangère, le cas échéant.
- L’adresse du siège officiel de l’association.
- Les objectifs de l'association et des moyens pour les atteindre.
- Les conditions d'adhésion, les cas de révocation et les droits et obligations des membres.
- Un organigramme de l’association, du mécanisme des élections et des prérogatives de chacun de ces organes.
- La désignation, au sein de l’association, de l’organe disposant des prérogatives de modifier le règlement intérieur, d’en décider la dissolution, la fusion ou la scission.
- La désignation du mode de prise des décisions et les mécanismes de règlement des conflits.
- Le montant de la cotisation mensuelle ou annuelle, le cas échéant.
- Les procédures régissant la suspension des activités, la dissolution et la liquidation de l’association.
Un huissier de justice certifie le contenu du dossier de constitution et rédige un procès verbal qu’il délivre au représentant de l’association en cours de constitution. Un courrier est ensuite adressé par lettre recommandé avec accusé de réception au Secrétaire Général du gouvernement.
Après avoir reçu l’accusé de réception, ou passé 30 jours sans réponse, le représentant de l’association doit procéder à la publicité légale de la constitution à l’Imprimerie Officielle de la République Tunisienne, dans laquelle il énonce le nom de l’association, son objet, son but et son siège. L’association n’acquiert la personnalité morale qu’à partir de la date de publication dans le Journal Officiel tunisien.
On notera que l’absence de réaction de la part des autorités vaut acceptation implicite.
Pour les associations étrangères, le décret-loi contient des dispositions particulières relatives à la constitution. On remarquera que la déclaration de création doit comporter :
- le nom de l’association.
- l’adresse de son siège social en Tunisie.
- la présentation des activités qu’elle souhaite mettre en œuvre en Tunisie.
- les noms et adresses des responsables de la section.
- une photocopie de la carte d’identité des responsables tunisiens et une photocopie de
la carte de séjour des responsables étrangers.
- deux exemplaires des statuts signés.
- un document officiel prouvant que l’association étrangère mère est bien établie dans le pays d’origine.
Au-delà des statuts, il convient de rédiger un règlement intérieur pour l’association qui règle la gestion administrative, la date de clôture de l’exercice annuel, les organes de décision, les relations entre les membres et de façon générale toutes les questions d’ordre pratique qui n’ont pas à figurer au niveau des statuts. A titre indicatif, le règlement intérieur pourra être articulé ainsi :
- Les modalités d’adhésion à l’association.
- Les conditions, obligations, catégories des membres et les cas de perte de la qualité de membre.
- Les modalités d’élection du comité directeur et de son bureau, les moyens de comblement des vacances ainsi que leurs prérogatives.
- Les méthodes de la gestion financière.
- Les modalités de la constitution des associations affiliées.
- Les règles d’accès des aux informations concernant l'Association.
- Les règles d’adoption des décisions disciplinaires.
- L’association a le droit d’agir en justice, le droit à la propriété et le droit de gérer ses ressources et ses avoirs. Elle peut également recevoir toutes formes d'aides, de subventions, de dons et de legs. Elle a le droit de posséder des biens immobiliers pour son siège et ses filiales, pour la réunion de ses membres ou pour la réalisation de ses objectifs conformément à la loi. Elle a le droit de céder tout immeuble qui ne sert plus à la réalisation de ses objectifs conformément à la loi. Le prix du bien est une ressource pour l’association. Elle peut se constituer partie civile, ou ester en justice pour les actes qui rentrent dans le cadre de son objet et de ses objectifs définis dans ses statuts, pour elle-même ou en tant que représentante de personnes concernées, et ce, en vertu d’une autorisation expresse écrite.
- En revanche, les fondateurs, les dirigeants, les salariés de l’association ainsi que ses adhérents ne sont pas responsables personnellement des obligations juridiques de l'Association. Les créanciers de l’Association n’ont pas le droit de poursuivre le recouvrement de leurs créances sur les biens personnels de ces personnes.
Notons enfin que le décret-loi consacre la notion innovante de réseau d'associations. En effet, l’association a le droit d’adhérer à un réseau d'associations, ou de créer un réseau d'associations, et ce, en vertu d'une décision de l'assemblée générale ordinaire.
Le cadre comptable
L’Association doit tenir une comptabilité conforme au système comptable des entreprises tel que prévu par la loi n° 1996-112 du 30 décembre 1996 relative au système comptable des entreprises. Cette disposition qui a été portée dans le décret-loi n° 2011-88 est fondamentale. Elle doit amener les associations à abandonner la gestion basique de la trésorerie (recettes-dépenses) et migrer vers une véritable comptabilité d’engagement à partie double. La référence à la loi n° 1996-112 du 30 décembre 1996 relative au système comptable des entreprises implique la tenue de livres légaux (journal général et livre d’inventaire) ainsi que l’établissement d’états financiers (bilan, état de résultat, état de flux de trésorerie, notes aux états financiers). Une norme comptable devrait être approuvée afin d’arrêter un plan des comptes et des standards normalisés pour la tenue de la comptabilité des associations.
Le décret-loi a également prévu des dispositions régissant la gestion financière de l’association :
- Il est interdit aux associations d'accepter des aides, des dons et des subventions octroyés par des pays n’ayant pas de relations diplomatiques avec la Tunisie, ou octroyés par des organisations défendant les intérêts et les politiques de ces pays.
- L’association doit s'engager à dépenser ses ressources dans le cadre des activités coucouant à la réalisation de ses objectifs.
- Elle peut participer aux appels d'offres publics à condition qu’ils relèvent du domaine de sa compétence.
- Toutes les opérations financières de l'Association (dépenses et recettes) sont effectuées par des virements, ou par des chèques bancaires ou postaux, et ce, lorsque la valeur de la transaction est supérieure à cinq cents (500) dinars. Il est interdit de diviser les dépenses et les recettes dans le but de ne pas dépasser le montant sus-indiqué.
En ce qui concerne les obligations formelles, l’association doit tenir une série de registres :
- Le registre des membres dans lequel est inscrits l’identité des membres de l’association, leur adresse, nationalité, âge et profession.
- Le registre des délibérations des organes de direction.
- Le registre des activités et des projets dans le quel sont inscrits la nature de l’activité ou du projet.
- Le registre des aides, dons, subventions et legs en distinguant ceux en numéraires de ceux en nature, ceux publics et ceux privés, ainsi que ceux nationaux et ceux étrangers.
L’association conserve ses documents et ses registres financiers pour une période de dix (10) ans.
L’audit et le contrôle interne
Si ses ressources excèdent 100.000 dinars, l’association désigne un ou plusieurs commissaires aux comptes conformément aux prescriptions de la loi pour une période de trois ans non renouvelable. Le commissaire aux comptes est obligatoirement membre de l’OECT si les ressources excèdent 1.000.000 dinars. Les normes de l’audit des associations seront fixées par l’OECT. Le rapport d’audit est transmis au président du comité directeur de l’association et au secrétaire du gouvernement dans un délai d’un mois à compter de la préparation des états financiers. L’assemblée de l’association statue alors sur ce rapport et peut l’approuver ou le désapprouver. L’Association s’engage de régler les honoraires du commissaire aux comptes suivant le barème des honoraires des auditeurs des entreprises Tunisiens.
En ce qui concerne les règles de transparence et de bonne gouvernance, le décret-loi prévoit ce qui suit :
- L’Association publie les subventions, dons et legs étrangers en précisant leur origine, leur valeur et leurs but, et ce, par un média écrit et sur son site Web, le cas échéant, dans le délai d’un mois à compter de la date de demande ou de l’acceptation. Le Secrétaire Général du Gouvernement en est informé par lettre recommandé avec accusé de réception dans le même délai.
- De même, L’Association publie ses états financiers accompagnés du rapport du commissaire aux comptes dans un média écrit et sur son site Web, le cas échéant, et ce, dans le délai d’un mois à compter de la date de l’approbation.
- L’Association qui bénéficie du financement public doit présenter un rapport annuel détaillé de ses ressources et de ses dépenses à la cour des comptes
L’aspect fiscal
En premier lieu, notons que toute association doit déposer une déclaration d’existence. Les associations sont également tenues de procéder à la retenue à la source sur les sommes versées, entrant dans le champ d’application de la retenue (loyers, salaires, montants supérieurs à 2.000 dinars, honoraires, etc.).
En matière d’impôts sur les sociétés, les associations exerçant dans le cadre du décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011 portant organisation des associations se trouvent en dehors du champ d’application de l’IS ; de ce fait, elles ne sont soumises ni à l’IS ni à la retenue à la source à ce titre.
Ce principe s’applique aussi aux associations exerçant dans le cadre de la loi n° 59-154 qui répondent aux dispositions transitoires prévues par l’article 48 du décret-loi n° 2011-88 dans un délai d’un an à compter de sa mise en vigueur.
Toutefois, les revenus de capitaux mobiliers réalisés par les associations demeurent soumis à une retenue à la source définitive et non restituable au taux de 20% de leur montant brut.
En matière de TVA, deux interventions législatives ont amendé le régime fiscal des associations ; la première avec la loi de finances pour 2012 et la seconde avec la loi de finances complémentaire pour la même année (voir Note commune n° 8/2012).
D’abord, conformément aux dispositions des articles 46 et 47 de la loi de finances pour l’année 2012, les numéros 6 et 16 du tableau « A » annexé au code de la TVA ont été modifiés en vue de les harmoniser avec les dispositions du décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011 relatif à l’organisation des associations, qui a abandonné la classification des associations selon les buts et les objectifs.
A ce titre, l’exonération de la TVA a été attribuée :
- aux affaires effectuées par les associations reconnues d’intérêt caritatif, de formation, scientifique, de santé, social ou culturel et dont la liste est fixée par décret,
- aux acquisitions de biens, marchandises, travaux et prestations livrées ou financées dans le cadre d’un don dans le domaine de la coopération internationale par les associations reconnues d’intérêt caritatif, de formation, scientifique, de santé, social ou culturel et dont la liste est fixée par décret.
Toutefois, le décret fixant la liste des associations concernées par l’avantage n’a pas été élaboré, du fait du nombre croissant de ces associations. C’est ainsi que dans le but de concrétiser l’exonération de la TVA au profit des associations, ces dispositions ont été révisées dans le cadre de la loi de finances complémentaire pour l’année 2012.
Ensuite, la loi de finances complémentaire est intervenue. Son apport concerne les opérations réalisées par les associations (Art. 55) et concerne les acquisitions des associations financées par un don dans le cadre de la coopération internationale (Art. 56).
En effet, l’article 55 de la loi de finances complémentaire pour l’année 2012 a exonéré de la TVA les opérations à caractère caritatif réalisées par les associations. L’exonération s’applique aux opérations à caractère caritatif abstraction faite de la vocation et des objectifs de l’association. De ce fait comme le précise la doctrine administrative, restent soumises à la TVA les autres opérations réalisées par les associations, ce qui permet d’exclure du domaine de l’exonération, les activités à caractère concurrentiel que peuvent réaliser les associations.
L’article 56 de la loi de finances complémentaire pour l’année 2012 a exonéré de la TVA les acquisitions de biens, marchandises, travaux et prestations au profit des associations créées conformément à la législation en vigueur livrées ou financées dans le cadre d’un don dans le domaine de la coopération internationale. De ce fait, le champ de l’exonération de la TVA a été élargi pour couvrir toutes les associations créées conformément aux dispositions du décret-loi n°2011-88 du 24/9/2011 relatif à l’organisation des associations, ainsi que les associations créées conformément à la législation relative aux associations appliquée avant l’entrée en vigueur du décret-loi en question et qui répondent aux dispositions transitoires prévues par son article 48. L’exonération susvisée est accordée, pour les achats locaux financés par un don dans le cadre de la coopération internationale sur la base d’une attestation délivrée à cet effet, par le bureau de contrôle des impôts compétent. L’octroi de l’exonération est subordonné à la présentation au bureau de contrôle des impôts compétent des documents relatifs à l’association et de la convention relative au don selon les procédures en vigueur.
En matière de TFP, les associations ne sont pas passibles de la taxe de formation professionnelle du fait qu’elles se trouvent en dehors du champ d’application de l’IS.
En matière de contribution au FOPROLOS, elles restent soumises à la contribution au FOPROLOS au taux de 1% du montant brut des traitements, salaires et rétributions y compris les avantages en nature.
Enfin, les associations ne sont pas soumises à l’IS et, par conséquent, ne sont pas passibles de la taxe sur les établissements à caractère industriel, commercial ou professionnel.
Toutefois, elles demeurent passibles de la taxe sur les immeubles bâtis calculée sur la base de la taxe de référence par mètre carré de la superficie couverte et du nombre des prestations fournies par les collectivités locales.
Le cadre social
Les associations régies par le décret-loi n° 2011-28 du 24 septembre 2011 sont soumises à l’obligation d’immatriculation auprès des services de la CNSS et à l’obligation d’immatriculation des travailleurs recrutés par l’association.
Les salaires servis aux travailleurs et aux cadres recrutés sont soumis au régime normal de sécurité sociale (paiement des cotisations employé et cotisations patronales).
Il existe cependant un programme du service civil volontaire qui vise à permettre aux diplômés de l'enseignement supérieur primo-demandeurs d'emploi, d'accomplir à titre volontaire des stages dans des travaux d'intérêt général en vue d'acquérir des capacités pratiques et des attitudes professionnelles, et à les faire bénéficier d'un accompagnement personnalisé facilitant leur insertion dans la vie active dans un emploi salarié ou dans un travail indépendant.
Ces stages sont supervisés par les associations ou par les organisations professionnelles, et ce sur la base de conventions conclues à cet effet avec le ministère de la formation professionnelle et de l'emploi. La durée maximale du stage, dans le cadre du programme du service civil volontaire, est fixée à douze mois.
Toutefois, le ministre chargé de l'emploi peut, à titre exceptionnel, proroger la durée du stage pour une période maximale d'une année au sein de la même association ou organisation professionnelle d'accueil, ou autoriser un deuxième stage au sein d'une autre association ou organisation professionnelle.
Une indemnité mensuelle, dont le montant est de deux cent (200) dinars, est octroyée au stagiaire durant toute la période de stage dans le cadre du programme du service civil volontaire.
Propositions pour l’amélioration des cadres juridique, comptable, fiscal et social régissant les associations
En guise de conclusion et en vue de permettre aux associations de recruter les jeunes diplômés et contribuer à l’absorption du chômage et leur permettre de développer davantage leurs activités, nous nous permettons de formuler ces quelques propositions qui visent l’amélioration des Cadres juridique, comptable, fiscal et social régissant les associations :
- Accélérer la publication de la norme comptable sur les associations.
- Faire participer la Compagnie à l’élaboration des normes sur l’audit des associations.
- Réviser le plafond de déductibilité des dons fixé à 0,2% du CA TTC.
- Permettre aux personnes physiques de déduire les subventions accordées aux associations de leur revenu imposable (déductions communes)
- Instaurer au niveau du décret-loi n° 2011-88 un cadre juridique et fiscal attrayant pour le mécénat.
- Remplacer le régime de l’exonération des dons accordés dans cadre de la coopération internationale par un régime suspensif.
- Permettre aux associations de bénéficier de la nouvelle mesure d’exonération de la CNSS pendant 5 ans accordée par la loi de finances complémentaire pour 2012 uniquement pour les entreprises régies par le code d’incitations aux investissements.
Rejeb Elloumi
Membre de la compagnie des comptables de Tunisie
et président de l’association tunisienne pour la sauvegarde des musées
et des sites archéologiques TOURATH
baraka allaho fik si Elloumi pour l'explication. mais pour le cadre social est ce que l'ong déclare les charges patronales
parfait
Un article tres interessant. Je propose de le faire suivre avec quelques exemples illustratifs surtout dans les domaines culturels et sportifs. Merci