Le come back de Néjib ChebbI
La cuisante défaite aux élections d’octobre 2011 avait été perçue comme son chant de cygne et voilà, contre toute attente, que Najib Chabbi refait surface. Après une traversée du désert qui a duré près d'une année, il a réussi même la gageure de devenir un acteur incontournable sur l’échiquier politique au point d’être courtisé par les deux plus grands partis politiques du pays. Une belle revanche pour celui qu'on présentait comme un «loser», «une machine à perdre». Pour l'attirer dans leur giron, les dirigeants d’Ennahdha sont allés jusqu'à lui proposer le poste prestigieux de ministre des affaires étrangères et deux maroquins pour son parti au prochain gouvernement à titre « d’acompte ». En attendant un soutien ferme lors des prochaines élections présidentielles auxquelles Chebbi pense depuis toujours et pas seulement en se rasant le matin. Une offre déclinée, pourtant, par l’intéressé parce qu’elle ne satisfait pas à ses deux exigences : la formation d'un gouvernement de compétences et la neutralisation des ministères régaliens et notamment ceux de la justice et de l'intérieur. Ennahdha a cédé sur les affaires étrangères et la justice qui pourrait être confiée à Abderraouf Ayadi. Le département de la défense dirigé par un homme de grande probité, Abdelkérim Zbidi ne pose pas de problème. Reste le ministère de l'intérieur. Pour des raisons qui sautent aux yeux, Ennahdha y est tellement attaché qu'il serait probablement prêt à sacrifier tous les ministères pour le conserver.
Pour sa part, le parti de Béji Caïd Essebsi,est engagé depuis des mois dans des discussions avec El Joumhoury et El Massar pour une alliance stratégique sans pour autant parvenir à des résultats probants. En vieux routier de la politique Si Béji à cherché à forcer la main de Chabbi en annonçant la création d’une Union Pour la Tunisie regroupant cinq partis au lieu de trois comme prévu. Mal lui en a pris. El Joumhoury et El Massar ont refusé de se plier au fait accompli.
Evidemment, cette offensive de charme des deux partis en direction de Chabbi n’est pas désintéressée. Inquiets par la montée de Nida Tounès dans les sondages, les Nahdhaouis multiplient les démarches depuis quelque temps pour isoler ce parti de ses principaux alliés. Nida Tounès tente de son côté de se débarrasser de cette image de simple avatar de l’ex RCD que cherchent à lui accoler ses adversaires en s’alliant à des partis et des hommes qui ont toujours combattu l’ancien régime.
Après la disparition de Mohamed Charfi, il est l'un des rares hommes politiques de sa génération avec Hamma Hammami à bénéficier d'une aura que lui vaut son long combat contre la dictature. Mais il a besoin d'un appareil, d'un parti fort et crédible et non d'un parti de cadres, comme c'est le cas aujourd'hui d'El Joumhoury, pour concrétiser ses ambitions. S'allier avec Ennadha dans ces conditions serait prendre le risque d'être ravalé au rang de faire-valoir comme le montrent les exemples des deux alliés du parti islamiste. Je ne sais pas s'il a pensé intégrer Nida Tounès, mais il aurait eu du mal à frayer un chemin dans un parti qui souffre d'un trop-plein de leaders. Cependant, les choix qui s'offrent à lui aujourd'hui sont nombreux.
Une alliance allant de Nida Tounès au Front populaire serait une alternative possible. Mais les amis de Hamma Hammami et Chokri Belaid enferrés dans leurs a priori idéologiques hésitent encore à sauter le pas. Reste une troisième solution, un «Compromis Historique» entre l'Union pour la République à 3 ou à 5 partis et Ennahdha à l'instar de ce qui s'est produit du temps de Berlinguer en Italie entre la démocratie-chrétienne et le parti communiste italien ou en Allemagne avec «la Grande Coalition» regroupant le SPD de Willy Brandt et la CDU-CSU.
Une hypothèse qui peut paraître invraisemblable dans les circonstances actuelles, mais qui cesserait de l'être, si la situation économique et sociale s'aggravait. Compte tenu du prestige dont il bénéficie auprès de toutes les parties, Ahmed Najib Chabbi pourait y jouer un rôle-clé.
En attendant, il devrait peaufiner davantage son image d'homme d'Etat et...se débarrasser de cette propension à assimiler toute critique le visant à un complot contre sa personne, même s'il la considère comme injuste. « La démocratie, disait Léon Blum a droit à l'ingratitude».
Hédi