Tunisie Nouvelle République, an III : Tunisianité, j'écris ton nom !
On parle, en physiologie, de motilité pour désigner l'ensemble des mouvements d'un organe, sa faculté motrice; et je crois que l'on est en mesure de l'étendre à notre société, l'opposant à l'immobilité de sa classe politique marquée, au contraire, par une fixité dogmatique, un hiératisme d'un autre temps, une immuabilité dans l'action, une immutabilité des théories et une improductivité de sa politique.
Si notre société semble souffrir de sclérose, si la pensée y paraît en état déplorable de stationnarité, si le statisme et l'inertie sont notre marque de fabrique politique, c'est le fait de nos élites.
Et c'est la faute, en premier, de celle qui est au pouvoir, s'employant par tout moyen à le garder, y compris en pratiquant le statisme idéologique et le surplace social.
Mais elle l'est aussi de celles qui sacrifient tout pour arriver à ce même pouvoir, quitte à renouer avec un passé d'inaction, d'inactivité, de paralysie et de piétinement de la liberté, pareil temps leur paraissant subitement bien quiet par rapport à une période actuelle, par trop agitée certes, mais demeurant grosse des plus belles espérances.
La Tunisie d'après le Coup du peuple n'est plus et ne peut plus être la même qu'avant. On a bien voulu appeler son acte politique majeur révolution sans accepter que celle-ci produise tous ses effets, dont notamment l'enterrement officiel d'un ordre politique dépassé et le passage résolu à un nouvel ordre.
Or, celui-ci, un nouveau paradigme en fait, est imposé par le réel tel qu'on le voit et non tel qu'on veut l'observer à travers le filtre déformant d'un fallacieux réalisme bien castrateur de la réalité véritable, le donné social tel qu'il se donne à voir.
Aux uns et aux autres donc, au nom du peuple dont je suis l'humble enfant, je me permettrais de dire ici comme Mark Twain : votre politique est à la fois bonne et originale; mais, hélas, ce qui est bon n'est pas original, et ce qui est original n'est pas bon.
Ce sera ainsi ma façon de souhaiter une bonne et heureuse année 2013 à tous et surtout à la Tunisie en cet an III de sa Révolution, son génial coup du peuple, modèle du genre pour le monde entier, et dont on fête le second anniversaire.
Ce qui est bon n'est pas original
Commençons par les voix multiples et les voix variées de la contestation qui se réclament de l'ordre et agitent des concepts présentés comme de bonne facture scientifique. Que proposent-elles? Un retour déguisé à un passé qui, non seulement a été rejeté par le peuple, mais relève d'un paradigme ayant épuisé toute pertinence.
La gestion des sociétés aujourd'hui ne peut plus se faire à l'ancienne; la politique de papa et de papy est de l'ordre de l'archéologie; elle n'est bonne que pour éclairer le passé, pas pour vivre ici et maintenant.
Aujourd'hui, le pouvoir institué est une puissance diluée dans le peuple et on ne peut plus se la raconter, pour utiliser une formule bien populaire, ni raconter des niaiseries à ce peuple, surtout lorsqu'il a l'intelligence enracinée en lui, entretenue par une histoire millénaire, riche et féconde.
Être un esprit scientifique revient donc à tenir compte de pareil fait et valoriser tel fonds pour remodeler nos catégories de pensées vidées de tout sens par le vécu de ce peuple et les expériences qui y ont cours quotidiennement.
Le seul ordre véritablement durable est celui qui est instauré par le peuple lui-même, donc cette paix sociale voulue et assumée par toutes ses strates acquises à une politique devant répondre à leurs exigences, épousant leurs rêves et aspirations.
La seule sécurité est celle à laquelle adhère le peuple et qui se fonde véritablement sur ses forces vives, qu'elles soient les bonnes volontés spontanément déclarées en son sein, ou les forces de l'ordre officiellement chargées du maintien d'une sécurité républicaine et libérée des phantasmes d'antan, véritablement au service du peuple en dehors de toute arrière-pensée idéologique.
La seule politique de développement économique porteuse est celle qui a pour assise les initiatives du petit peuple, allant à la rencontre de son assentiment régulièrement vérifié, et non les mirifiques constructions théoriques et artificielles qui n'ont de sens que pour des esprits déconnectés des réalités de terrain, pondues dans des officines justes bonnes à la cogitation abstraite, sans relation avec le réel qu'elle viole qui plus est pour le conformer à ses vues, le couchant sur le lit d'un Procuste d'aujourd'hui.
La seule interprétation correcte d'une religion, dont l'empreinte est indélébile sur le corps social, n'est pas celle qui singe une expérience occidentale désormais vidée de tout sens. En effet, les Lumières de la Renaissance, bien utiles un temps, se sont obscurcies, sinon déjà éteintes, chez les esprits les plus éclairés de ce même Occident qu'on cherche à importer chez nous.
Pis! on oublie allégrement que notre terre fait partie d'une aire culturelle qui a participé à illuminer ce même Occident quand il n'était qu'un âge d'obscurité, lui ayant rendu, enrichie, sa propre tradition, l'instrument de son illumination.
C'est ce qui me fait dire que la seule interprétation juste et honnête de notre religion est celle qui puise enfin dans ses lumières propres pour les rendre intactes et éclairer ainsi les esprits bornés. Il nous faut, en effet, les illuminer car, tout en se réclamant de l'islam, ils ne font que le violer, le ramenant à une obscurité absolue, en se réclamant non de son esprit, mais d'une idiosyncrasie qui lui est étrangère. Et celle-ci est alimentée particulièrement par une tradition judéo-chrétienne qu'ils s'évertuent par ailleurs à dénoncer dans les mœurs et pratiques occidentales.
L'aberrant chez notre gent politique dite moderniste est qu'elle sait se fait aussi obscurantiste que son adversaire puisqu'elle use pareillement des mêmes armes, décrétant l'hérésie quand il s'agit d'appeler à un retour au religieux authentique tout en n'hésitant pas à y recourir en politique, en cherchant à déterrer un ordre suranné.
Or, que ce soit pour l'islam (sauf un islam authentique, redevenu religion des Lumières, comme il en sera question infra) ou pour la dictature déchue, je rappellerais pour ces rêveurs d'un retour au passé ce que disait Virgile dans les Géorgiques « Fugitirreparabletempus » : Le temps s'enfuit, perdu pour toujours.
Ce qui est original n'est pas bon :
Les esprits rêveurs d'une nouvelle dictature en Tunisie, on les retrouve dans les rangs du parti majoritaire aujourd'hui, qui oublie par trop vite qu'il n'a été porté au pouvoir que grâce à son combat avéré contre la dictature déchue. On se tromperait, en effet, si on assimilait le vote pour le parti de Cheikh Ghannouchi à un vote d'adhésion à son discours politique qui relève trop souvent, pour la majorité du peuple, en termes de morales et de religion, de la logomachie. Et ce peuple est bien trop intelligent pour redonner de nouveau ses voix à un parti pour lequel il aura rendu justice, eu égard à son militantisme avéré, en le portant au pouvoir, mais qui ne la lui rend qu'au compte-gouttes, n'accédant à ses exigences de liberté que sous la pression et après moult atermoiements.
Certes, l'originalité est patente au pouvoir; mais elle vient surtout de la combinatoire de trois forces intellectuelles fort différentes sinon opposées, bien plus que de la politique mise en oeuvre. Celle-ci n'est pas bonne, car trop timorée et même ringarde sur le plan des droits de l'Homme.
L'être humain, dans ce peuple, est nié en tant que sujet aimant et souffrant; son histoire privée, ses émotions intimes, son expérience existentielle sont totalement absentes des motivations des décisions prises; sa singularité, attestée par son histoire propre, est négligée, à moins qu'elle ne soit rapportable à une particularité idéologiquement repérable se trompant grossièrement sur sa nature vraie. En effet, si elle n'est plus scientiste cette fois-ci, comme chez le bord politique opposé, elle n'est pas moins erronée, revenant invariablement à une idiosyncrasie supposée être morale islamique et qui ne l'est pas, n'ayant aucune particularité authentique, puisant dans une tradition qui est, au mieux, sémitique pour les jugements les plus neutres, sinon clairement judéo-chrétienne.
Aussi, pour tous les prétendus rêveurs d'un islam renouvelé, je dirais ceci : vous voulez bien d'un islam de progrès : mais un progrès indéfini, mais le progrès circonscrit, mais le progrès émasculé, voilà le mensonge, voilà l'illusion : In causa venenum, disaient les Latins. Comme le venin du scorpion est dans sa queue, le poison de pareille politique est dans ses conséquences divisant la société au lieu de la réunifier autour d'un islam des Lumières.
Admission du droit à l'apostasie, abolition de la peine de mort, reconnaissance de l'égalité absolue entre les sexes, levée de toutes discriminations du fait des mœurs ou de la vie privée des gens, voici quelques thèmes sur lesquels vous pourrez apporter la preuve de votre ouverture d'esprit et votre attachement à un islam authentique, car il n'est sur toutes ces questions aucun interdit en islam pour qui sait le lire selon son esprit, comme je le fais par ailleurs, mon islam étant de son temps, non pas seulement moderne donc, mais postmoderne.
Alors, si on est fondé à dire, comme on a pu le soutenir, que « la vraie polarisation existe entre ceux qui veulent le changement démocratique, et ceux qui veulent faire revenir le pays au régime dictatorial, c'est-à-dire avec ou contre la révolution », on ne l'est pas quand on ne fait rien pour empêcher le retour dans le pays à la dictature d'une vérité unique, et sur le plan de la morale et sur le plan des mœurs. Il faut tout faire pour refonder incontinent notre législation en vue d'un corpus de règles juridiques dans un État de droit où les droits de l'Homme, tous ses droits reconnus universellement, sont garantis sans aucune exception.
Libres penseurs, dites-vous ?
Voilà la gageure et voilà l'âme même de la Révolution que l'on pourra alors chercher à protéger contre ses ennemis; faut-il démontrer que l'on est bel et bien ses défenseurs et non ses fossoyeurs déguisés.
Car, qu'il soit islamiste ou RCDiste, le vrai danger qui menace la Révolution est une dictature des croyances et des mœurs, un bâillonnement de la pensée libre au nom de la liberté et un asservissement aux préjugés idéologiques au nom des valeurs du combat, qui n'est alors que celui d'arrière-garde.
Et on ose nous dire n'être que penseurs libres et libres penseurs ! rappelons-nous donc ce que disait Nietzsche de ceux qui se prétendaient tels : qu'ils sont tout sauf libres ou penseurs !
Alors, à quand passer de l'Opéra-bouffe actuel à un opéra lyrique où l'on acceptera enfin du peuple qu'il entonne librement et divinement son hymne à la vie et à la liberté? 2013 sera-t-elle cette année-là?
C'est que le Coup du peuple dont nous fêtons en ce début de nouvelle année le second anniversaire a libéré un génie qui, quittant sa prison, est en train de déployer l'immensité de ses pouvoirs et talents enfouis aux tréfonds de son être.
Il faut dire que la multiplicité et la plasticité de l'être humain sont aujourd'hui attestées chez les psychologues et les psychiatres, sans parler des hypnologues, des magnétiseurs et des psychistes. Or, cette qualité supérieure de l'entièreté de l'être est située à un degré élevé dans l'âme tunisienne qui est un condensé de l'esprit oriental mâtiné d'occidentalité. On pourrait en dire qu'il s'agit, sur cette terre de Tunisie, d'un Occident orientalisé ou,
mieux encore, d'un Orient orienté Occident.
On se leurrerait si l'on faisait relever pareille spécificité psychique d'une quelconque opposition binaire ou linéaire, d'un fait maladif; c'est plutôt d'un trait de génie qu'il s'agit. Les travaux scientifiquement irréprochables de la Society for psychicalResearch (SPR) du Trinity College de Cambridge, vivier de l'intelligence britannique avec ses savants réputés, Frederic Myers en tête, le prouvent assez. C'est bel et bien d'une richesse et d'une complexité inouïes de la personnalité humaine qu'on a affaire.
Il est donc, dans l'être tunisien, une multiplicité psychologique interne qui se double d'une multiplicité externe, la personnification archétypale du Tunisien empruntant des éléments à plusieurs types de personnalités venant d'espaces et d'horizons divers, culturels et humains. C'est cette diversité qu'il nous faut protéger et cultiver pour en faire l'œcuménisme mental de demain. C'est de la responsabilité de tout le monde, classe politique tunisienne et occidentale en premier, car il ne s'agit, rien de moins, que d'une question majeure de paix mondiale ou, pour le moins, de la paix en Méditerranée.
La crise actuelle en Tunisie est de celles qui sont, comme l'étymologie du mot l'indique, propices à la mise en évidence du meilleur à venir. Ainsi qu'une transe soufie ou somnambulique, elle manifeste le moi réel ouvrant l'accès à l'âme profonde du peuple, dévoilant une conscience autre, occulte, plus vaste et autrement plus évoluée que la conscience vigile commune qui s'avère incontestablement plus amoindrie, rabougrie en quelque sorte.
Il est temps,par conséquent, de nous défaire de toute tentation de scientisme trompeur nous laissant croire à tort à la défaite de la raison quand il ne s'agit ici que du triomphe d'une raison sensible, moins dogmatique et plus scientifique.
Il est temps de procéder à un renversement complet de l'évaluation que nous faisons des deux formes de consciences qui sont en nous, reconnues aujourd'hui scientifiquement comme étant, pour le moins, simultanées et indépendantes.
Ce n'est plus la conscience vigile, l'identité apparente qui serait normale, car elle ne serait qu'une sous-conscience par rapport à une conscience supérieure a la puissance extraordinaire qui libère ce qu'on a qualifié d'automatisme psychologique. Celui-ci, bien connu dans les Tariqas soufies, est l'état médiumnique somnambulique tel que le révèlent les sciences psychiques.
Il s'agit là des orientations les plus fécondes de la science du psychisme humain, loin du fatras mythique d'un rationalisme purement scientiste. Mort et enterré désormais en Occident, ce derniery a toujours été moins soucieux de l'interprétation correcte des faits et données observables que de l'idéologie optimiste de la Modernité. En effet, il n'a plus su faire l'essentiel de son métier consistant à observer objectivement les faits, assimilant au mieux à des perplexités les éléments heuristiques et troublants ayant trait à l'âme humaine, aussitôt rejetés par une science institutionnelle juste du fait qu'ils lui apparaissaient une énigme historique et épistémologique.
De ces faits relève ce qui se passe en Tunisie, révélé par le coup du peuple qui a libéré l'âme tunisienne d'une dictature qui jouait le rôle de conscience vigile pour la livrer à une conscience supérieure, libre et libérée de tout automatisme psychologique castrateur.
Il est donc temps de reconnaître la spécificité d'exception qui se déploie sous nos yeux et que je nomme Tunisianité. Elle résume un monde mental qui s'offre à nous fait d'une alchimie de visions antiques en ce que l'antiquité à de meilleur : sa modernité d'anticipation (la fameuse rétromodernité), et de la modernité faite du merveilleux technologique. C'est d'un monde postmoderne qu'il s'agit, bien évidemment, qui prend la place d'un monde ancien fini dans une faim de monde nouveau incontournable, signant la fin d'un paradigme pour un autre en train de naître.
Au-delà de notre élite politique, nos penseurs qui honorent la pensée libre, sauront-ils prendre enfin conscience de l'importance de pareil moment historique pour en faire l'épiphanie du génie tunisien ? Accompagneront-ils l'histoire en mouvement sur cette terre de Tunisie, avant-poste de l'Orient vers les terres d'Occident, où aura lieu une assomption paraclétique de la foi, symbolisée par un islam apaisé, postmoderne, sceau des croyances ?
Alors, nous pourrons dire sans hésitation : bonne année, belle Tunisie ! Joyeux anniversaire ! Et bon vent à la Tunisianité en une Tunisie Nouvelle République qui sera une République postmoderne ! Car la pensée y passera du dogmatisme de la croyance à la scientificité de la foi, assumant l'universalité des valeurs humaines d'essence foncièrement sacrée, de ce divin social, humain et fondamentalement humaniste.
Farhat OTHMAN