Opinions - 23.12.2012

Les quinze propositions pour redresser notre économie sinistrée

Depuis une année, la situation conjoncturelle de notre économie et de nos finances alimente le débat entre les experts, les politiques et les médias, toutes tendances confondues.

C’est de bonne guerre, nous vivons une période troublée qui, comme c’est le cas généralement, s’installe dans les sociétés qui vivent  des évènements comparables aux nôtres.

Le passage des moments féériques de l’enthousiasme délirant à ceux cruels de la déraison généralisée, de l’impunité tolérée, de l’égocentrisme médiatisé et de l’égoïsme partagé, crée un sentiment de désordre dans les esprits les plus rationnels qui ne savent plus à quel saint se vouer.

Pourtant, notre pays riche d’une histoire trois fois millénaire, faite de violences et de changements, devrait  avoir  présent à l’esprit ce sentiment de pérennité, et chevillée au corps,  la volonté de toujours construire pour les lendemains, jusqu’à l’éternité. 

Antoine de Saint-Exupéry disait vrai quand il nous tançait:  «N’espère rien de l’homme s’il travaille pour sa propre vie et non pour son éternité». Nous ne demandons pas tant, mais seulement de n’avoir pas une courte vue des choses et de penser à l’avenir de notre pays et de ses jeunes générations, «possédées» par l’angoisse du lendemain.

Plutôt que de ressasser le diagnostic connu de notre économie sinistrée,  passons en revue les suggestions pour son redressement, dans des conditions de retour  d’une vie normale,  dans ses composantes les plus variées, à savoir  un horizon dégagé, une sécurité  retrouvée, des institutions politiques stabilisées et complétées par des «check and balances, des textes fiscaux et commerciaux remaniés et simplifiés,  un plan économique dessiné et une confiance recouvrée.

1.Construire une infrastructure

Effectivement, notre pays souffre, en dehors du Grand Tunis et des zones côtières,  de l’absence de routes, ponts, écoles,  hôpitaux, d’infrastructure technologique et de  communication.

Les investissements dans les autres régions sont quasiment absents, ce qui fait que coexistent deux Tunisie, celle du miracle tunisien et la deuxième du centre,  du nord-ouest et du sud, la plus nombreuse et la plus malheureuse. Celle  surtout des diplômés sans emploi, et souvent sans espoir d’en trouver, et des femmes rurales, les plus maltraitées, les plus désemparées par leur présent et l’avenir de leurs enfants.
Si nous voulons que des sociétés s’installent à Sbeïtla, à Kasserine, ou à Sidi Bouzid, il faudrait qu’elles y trouvent les mêmes infrastructures qu’à Tunis ou à Sousse. De plus, l’investissement dans les infrastructures génère des opportunités immédiates d’emplois.

La BAD  affirme que seulement la moitié du financement annuel requis (près de 100 milliards de $)  est actuellement dédiée à l’infrastructure à l’échelle africaine, et le déficit  coûte aux différents pays, dont le nôtre,  entre 3  et 4% de croissance annuelle.

2. Edifier une économie plus contributive dans la chaîne de valeurs

Notre économie est constituée à hauteur de ses ¾  de petites et moyennes entreprises. Il en faut, et c’est même une des solutions préconisées par l’OCDE pour la résorption du chômage en Afrique.

Mais ces PME sont , pour un grand nombre d’entre elles,  familiales, très petites, souffrant d’un endettement massif, et de faibles moyens de gestion.

En dehors de quelques entreprises étatiques, nous n’avons pas,  véritablement, de grandes entreprises à haute valeur ajoutée, et même  nos entreprises exportatrices, dans leur majorité, sont des fournisseurs de composants pour les sociétés étrangères.

Pour cela, il nous faut des solutions adaptées à l’évolution des techniques, de la concurrence internationale et du consommateur final.Une des solutions réside dans les programmes d’éducation et de formation, qui doivent tenir compte des projections de notre économie, non pas pour le lendemain mais pour au moins une décennie.

3. Répenser notre éducation et l’adapter aux réalités de notre monde

Notre éducation, durant les vingt- cinq dernières années,  a formé un nombre considérable de sans- emploi. En 1984, le nombre de diplômés sans emploi était de 2,4% de la population active, alors qu’en 2010, il culminait à 20%.

C’est le résultat d’un manque d’adéquation entre les projections de nos besoins et de l’offre correspondante.
Il existe actuellement des médecins  qui  préfèrent travailler dans le paramédical, plutôt que de s’installer dans des régions à faibles infrastructures.

Il existe des besoins insatisfaits dans des métiers peu valorisés, mais qui sont utiles présentement.

Le secrétariat de direction est une qualification recherchée, bien rémunérée, mais souvent introuvable, faute d’une formation des diplômés en  lettres et langues vivantes, dans les technologies nouvelles.

4. Révaloriser la formation professionnelle

De nos jours,  il existe encore  des offres d’emploi non satisfaites, faute des compétences requises, et parallèlement un niveau de sans-emploi insoutenable.

La formation professionnelle est un complément nécessaire à des programmes d’éducation qui souffrent d’inadéquation avec le monde du travail.

De plus,  elle  arrive à la fin du parcours éducatif,  en le complétant, en le réorientant ou en le corrigeant. De ce fait, elle a une forte capacité à résoudre des problèmes épineux dans un temps minimal.

5. Améliorer la productivité de notre agriculture

Notre agriculture, à l’image de celle de l’ensemble du continent africain, est de très faible productivité. Elle occupe plus de 400 000 personnes, contribue pour près de 14% de notre PNB, soit deux fois plus que le secteur touristique et a un endettement très largement inférieur.

Elle souffre d’une absence de soutien, notamment au niveau de l’infrastructure en général, et de celle directement liée au secteur, comme le manque de  puits et de systèmes de pompage.

Elle reste largement tributaire des conditions climatiques qui oscillent entre saisons de sécheresse et d’excédents.

Il suffit d’un soutien minimal des producteurs agricoles, et pas seulement des intermédiaires et des consommateurs, pour que ce secteur, qui fut le porte-étendard de notre pays dans le passé («The bread basket of the Roman Empire»), retrouve son lustre perdu.

6. Diversifier notre offre touristique

Notre tourisme emploie, bon an mal an,  450 000 personnes,   contribue à hauteur de 7% du PNB, dispose  de plus de 220 000 lits, et connaît un endettement massif.

C’est un tourisme saisonnier, sahélien, principalement, et saharien secondairement. C’est un secteur fortement en difficulté, qui n’a pas épousé les changements de comportement de la demande, plus portée désormais  sur des séjours de  courte durée, qui ne se cantonne  plus  à la seule offre balnéaire et  privilégie  la qualité du service.

Comme l’agriculture, il a été desservi par la faiblesse de notre infrastructure, et n’a pas pu de ce fait se déployer dans les régions autres que côtières.

Il y a lieu d’encourager à l’avenir le tourisme culturel, de randonnée, de plaisance, et les différentes formes  de niches qui commencent à s’activer, comme le médical, le golf, le tennis, etc.

7. Encourager la  recherche et le développement

La recherche n’est pas, comme beaucoup le prétendent, l’apanage des grands pays et des grandes structures.

Elle est d’abord une culture, une liberté, et un encouragement public.

Il faudrait  faire rebondir  notre économie vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée et, pour cela,  trouver par la recherche fondamentale et appliquée, des opportunités d’améliorer notre contribution dans le cycle économique.   

8. Elever notre contribution dans la chaîne des valeurs

Nos concitoyens ne sont dépourvus ni d’imagination ni d’habileté. Il leur manque souvent un environnement propice à leur épanouissement, fait de soutien public et de liberté d’entreprendre.

Nous sommes généralement cantonnés dans le bas de la chaîne des valeurs, dans la partie matérielle, qui est faible, c’est-à-dire celle qui inclut les salaires, les amortissements des équipements et les matières premières.

Alors que la partie élevée de la même chaîne, l’immatérielle qui comprend la création d’un côté et la prescription de l’autre, nous échappe.

Nous devons absolument, pour ne pas continuer à rester indéfiniment sous la menace des donneurs d’ordres, nous projeter progressivement dans l’immatériel.

Ce dernier dépend du soutien à la recherche, du développement et de la multiplication des pôles technologiques, et de l’effort incitatif de l’Etat.

9. Développer le partenariat public-privé

Dans une économie libérale, l’Etat, même s’il n’y est plus un acteur dominant, garde son statut de puissant régulateur et d’«impulseur».

Lorsque le secteur privé ne peut assumer tout seul certaines opportunités, il peut s’associer à ce dernier,  le temps de faire décoller le projet, le mettre sur les rails et s’y soustraire dès lors que sa présence n’est plus nécessaire.

Les Etats-Unis, grande puissance libérale, ont recouru avec grand succès  à cette méthode pour sauver de la faillite les trois géants automobiles de Detroit, Chrysler,  GM, et Ford.

Nous pouvons et devons le faire chaque fois que les conditions d’une vraie opportunité sont réunies.

10. Attirer les «locomotives»

Peu de sociétés dominantes se sont installées en grande dimension dans notre pays, et celles qui y viennent se limitent à des ateliers secondaires. Nous avons besoin des «locomotives», dont la présence est souvent fortement  renforcée par celle de leurs  fournisseurs et contractants.

11. Développer les relations interrégionales

Les échanges  entre les pays du Maghreb sont de l’ordre de 4% de la totalité de leur commerce international, ce qui en fait le plus faible pourcentage régional et nous coûte au minimum  2% de croissance chaque année.  C’est beaucoup et cela mérite des efforts intensifs et prolongés de notre diplomatie.

12. Améliorer les outils de gestion et instaurer la bonne gouvernance

Dans un premier temps, il faut mettre l’accent sur l’impérieuse nécessité d’instaurer les outils performants de gestion et notamment l’informatisation et les télécommunications    dans tous les secteurs : étatique, administratif, productif, associatif et autres.  C’est une condition sine qua non à la mise en œuvre des trois grandes composantes d’une bonne gouvernance: la responsabilité, la transparence et la «redevabilité» («accountability»), qui nous permettront de lutter contre la corruption, ce fléau qui nous coûte, bon an mal an,  2% de croissance.
 
13. Diversifier l’offre énergétique et écologique tout en veillant à la  preservation de l’environnement

Nos ressources pétrolières sont modestes et épuisables, et nous nous devons, dès à présent, de  penser à leur remplacement. L’énergie éolienne et le solaire représentent des compléments, voire des alternatives acceptables à la condition de veiller à ce que leur mise en œuvre ne défigure pas nos paysages.

La préservation de l’environnement doit également être accompagnée du développement d’une industrie verte qui est appelée dans les prochaines décennies à prendre une part importante des marchés internationaux.

14. Consolider le financement de l’économie

Notre tissu entrepreneurial est financé massivement par le secteur bancaire (plus de 90%), d’où un taux d’endettement excessif, et une exposition au risque insoutenable pour les bailleurs de fonds. Ces derniers, trop morcelés (trop d’unités pour un si petit marché!) sont accablés par une faiblesse d’échelle, par le niveau élevé des créances douteuses et celui insuffisant des fonds propres,  par comparaison aux exigences de Bâle II et de Bâle III.

Nous devons propulser à des niveaux raisonnables la très faible contribution du marché financier, quasiment atone, et dont la part de la capitalisation boursière dans le PIB est  limitée à 23% avec seulement 59 sociétés admises à la cote.
Il suffit de peu de choses (ouverture aux internationaux, quelques amendements légaux et un effort pédagogique)  pour rendre effectif un tel objectif.

15. Hâter le basculement vers une économie de la connaissance et de la technologie

Les pays scandinaves (Danemark, Suède, et Finlande) ont une population moins importante que la nôtre, ce qui ne les a pas empêchés  d’être tous les trois et depuis quelques années dans les cinq premiers du classement mondial de la productivité technologique, établi par l’INSEAD, avec les USA et Singapour pour compléter le «Quintet».

Ils sont aussi classés,  et ceci explique en partie cela, en tête de peloton de l’Indice de développement humain (IDH).

C’est dire que nous pouvons  faire  basculer, si nous le voulons, notre économie dans ces secteurs technologiques, à forte capacité de valeur ajoutée et d’emplois, en concluant dans un premier temps des partenariats internationaux et en diffusant la culture technologique à notre jeunesse,  qui en est  friande.

Toutes ces propositions, sommairement traitées, qui ont pour objectif de créer une croissance plus forte, à deux chiffres, oui à deux chiffres !  et plus inclusive («inclusive growth»),  ne sont très certainement pas exhaustives, pour redresser notre économie sinistrée et redonner l’emploi et la dignité à tous nos concitoyens.

Mais elles sont les plus essentielles pour la mettre sagement sur les rails,  du meilleur côté de l’histoire,  d’un monde globalisé et interconnecté.

Il faudra ensuite la pousser assidûment, en sachant que rien ne sera facile, mais en ayant à l’esprit que «ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est  parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles»
(Sénèque).

M.G.