Blogs - 24.06.2009

A la Tunisienne 3

Vous avez aimé la première et la deuxième partie ! Vous en savourerez celle dernière!

Arrivé jusqu’ici, il nous faut poser, sans fard, la question qui « tue »: mais quel est en définitive le contenu exact de notre « tunisianité » ? Est-ce notre appartenance simultanée, et je dirais juxtaposée (en strates successives), au monde méditerranéen, arabe, musulman, africain ? Sommes–nous, en fin de compte, un peuple de la mer ou un peuple des terres ? Notre particularisme est-ce le fait que nous puisions tout à la fois et plutôt maladroitement dans une culture française et occidentale en mouvement, référence absolue pour une grande partie de l’élite, ou aveuglément dans une culture arabo-musulmane quasi immuable et cependant toujours marquante et « actuelle » pour l’immense majorité des Tunisiens?

Bref, sommes-nous d’abord tunisiens et arabo-musulmans ensuite, ou l’inverse ? En somme s’agit-il simplement de géographie et d’histoire ou d’une influence plus indéchiffrable et plus complexe encore comme la culture par exemple? Je ne me risquerais pas à répondre quant à moi à de telles interrogations gravissimes par une pirouette ou par une phraséologie creuse, encore moins à répondre pour tous et au nom de tous. Chacun est appelé à remplir les cases vides, à trouver son propre point d’équilibre, son centre de gravité en quelque sorte. Mais nous devrions tous  prendre conscience que ce sont nos différences qui font de nous un peuple intéressant, tolérant et agréable, non l’inverse.

C’est d’autant plus vrai que «régler une affaire à la tunisienne n’a pas le même sens passant du Sud au Nord, du Centre au Sahel, d’un coin à un autre de notre si beau pays. Dans certaines régions, on use plus volontiers du dialogue ou de la roublardise, dans d’autres du pugilat physique ou verbal, dans d’autres encore du silence méprisant ou accommodant, dans d’autres enfin de la violente mais néanmoins légale procédure judiciaire. Ces différences de comportement et de sensibilité marquent le grand décalage des mentalités qui perdure en Tunisie.

C’est si vrai que dans certaines localités, la « normalité » est à s’agglutiner devant les bureaux des Délégués pour quémander aide et assistance, alors dans d’autres cette même attitude est bannie par la « normalité » sociale en vigueur, au point d’ailleurs où des quiproquos ravageurs se sont installés durablement entre les uns et les autres (dans ces localités on s’adresse plus volontiers aux « pays » pour régler les problèmes ou recevoir des subsides ). En fait, rien n’exprime mieux nos « différences » que cette attitude, citoyenne et applaudie ici, vilipendée et rejetée la-bas.

On se méprendrait gravement sur mes propos si l’on vient à considérer que tout regard rétrospectif ou critique sur nos tares doit être perçu comme destructeur ou nihiliste, à tout hasard, et aussi sombre que soit le tableau que je dresse de certaines dérives qui nous pourrissent la vie au quotidien, je n’aimerais pas vivre ou mourir ailleurs que sur cette terre, entouré par cette autre partie de moi-même que sont mes compatriotes. En stigmatisant la lecture que certains font d’une forme dégénérée de « tunisianité », je ne fais que redonner à ma terre une infime partie de ce que cette généreuse nourricière m’a donné.

Après tout, tout citoyen, vivant sur ce tout petit point de l’univers qu’est la Tunisie, a droit, tout comme moi, à l’édification de son propre musée des horreurs, à condition que l’on soit constamment habité aussi par l’idée que l’on est dépositaire, de facto, d’une parcelle de « tunisianité », authentique celle-la, parcelle qu’on doit choyer, nourrir et protéger contre toutes les pollutions et autres exégèses surannées.

Un flot de critiques s’abattra immanquablement sur moi. Peu importe si l’on prenne enfin conscience que la  «tunisianité» à laquelle nous devrions tous aspirer est à l’opposé de celle dans laquelle nous avons pris l’habitude de se mouvoir depuis quelques temps comme des zombis, des zombis tristes et hargneux qui plus est. Peut être que la vraie « tunisianité » est celle que  nos anciens nous ont léguée et que nous n’avons pas pu ou voulu transmettre intacte à des générations déboussolées, en quête pourtant d’un solide arrimage et d’un enivrant projet de société.

Habib Touhami

(Intérim)