Abderrahman Dziri
Les Tunisois habitant du côté de Bab Saadoun qui se rendent chaque jour à leur bureau au centre-ville, empruntent, souvent, arrivés au niveau de l'avenue Taïeb Méhiri, une artère qui porte le nom d'un grand patriote et néanmoins méconnu, Abderrahman Dziri (et non Jaziri, comme il est mentionné sur la plaque), en reconnaissance des services rendus à la patrie.
Un éminent chercheur, doublé d'un grand militant qui nous a quittés il y a trente ans, jour pour jour (15 juin 1979), comme il a toujours vécu, sur la pointe des pieds, alors qu'il pouvait aspirer à de hautes charges. Aux feux de la rampe, il préférait, l'ambiance studieuse des amphis de l'Institut des Hautes Etudes de Tunis où il enseignait, le bruit feutré des laboratoires de recherche ou, encore, son officine à Bab Souika.
C'est pourquoi, élu maire de la Goulette lors des premières élections municipales de l'histoire de la Tunisie indépendante, le 5 mai 1957, il préféra démissionner deux ans plus tard.
Un rôle politique de premier plan
Abderrahman Dziri faisait partie des premières cuvées de pharmaciens tunisiens, diplômés de l'Université française où figuraient des hommes comme Ali Bouhajeb, Noureddine Zaouche, Jelloul Ben Chérifa, Khélil Matri, Boubaker Ben Yahia, Ahmed Zouiten, Sadok Guermazi et bien d’autres qui avaient marqué de leur empreinte la vie politique,sociale et même sportive dans notre pays dans l'entre-deux-guerres et même bien au delà.
Il était né à la veille de la Grande Guerre, en 1913 à Tunis. Son père, d'origine turque, Chédli Ben Dali Ali El Hanéfi, dit Dziri parce qu'il avait séjourné quelque temps en Algérie avant de s'installer définitivement en Tunisie, le destinait aux carrières prestigieuses de Cadhi ou de Professeur à la Grande Mosquée et l'inscrivit dès l’âge de quatre ans (1917) à l’école coranique.
Le destin en avait voulu autrement. Le père décèdera quelques années plus tard et c'est l'un des oncles qui prendra en main l'éducation du jeune Abderrahman en l'orientant vers l’école de la rue du Tribunal, dans la médina de Tunis, en octobre 1923. Il poursuivra ses études secondaires au Lycée Carnot d’où il décrochera sa 2ème partie du baccalauréat, le 6 juin 1939 (série mathématique élémentaire) avant de traverser la méditerranée pour s'inscrire à la Faculté de Pharmacie de Marseille où, malgré des conditions difficiles (on était, alors en pleine guerre), il fera de brillantes études couronnées par un doctorat en pharmacie, en 1945.
Le mérite de Abderrahman Dziri était d'autant plus grand que parallèlement à ces études, il joua un rôle politique très important, prêtant main forte aux militants tunisiens et au plus illustre d'entre eux, le Zaïm Bourguiba détenus au fort Saint Nicolas de Marseille de 1940 à 1943 et ce, malgré une surveillance policière serrée comme en a témoigné le commissaire Casémajor en 1948. Parmi ses hauts faits que l'histoire retiendra, la transmission aux militants en Tunisie des recommandations de Bourguiba de rester du côté des alliés alors que la victoire de l’Allemagne paraissait acquise aux yeux de la majorité des nationalistes.
Une activité scientifique intense
De retour en Tunisie, en 1945, il mènera une double vie, politique, dans la clandestinité, en sauvant la vie de militants recherchés par la police ou en livrant des médicaments aux résistants; et scientifique en menant une carrière de chercheur dans le domaine de la nutrition, enseignant cette matière à l’institut des hautes études de Tunis et assurant la formation de formateurs dans différents secteurs: instituteurs, directeurs d’écoles, sages femmes, infirmiers hygiénistes, éducateurs sanitaires, Animatrices sociales et rurales, futures maîtres d’éducation physique, directeurs des colonies de vacances, aux différents cadres responsables de la production rurale du ministère de l’agriculture. L’éducation nutritionnelle a fait son entrée même dans ce nouveau domaine grâce à la lutte contre l’analphabétisme.
A vrai dire, cette activité se situait dans le prolongement de son action politique. La résistance était nécessaire pour amener l'occupant à composition, mais il fallait penser à l'après-indépendance et à la formation des cadres qui seraient appelés à prendre la relève des fonctionnaires français.
Ses travaux de recherche ont intéressé la biochimie telles que la mise au point de la technique du dosage de la glycémie par la micro méthode, la nutrition, l’effet hypoglycémiant du corchorus olithorius « mloukhia » et la richesse du gombo en iode « guénaouia » et les multiples enquêtes nutritionnelles évaluant l’état des lieux concernant les habitudes alimentaires de la population tunisienne.
Il avait occupé plusieurs responsabilités dont les principales ont été en 1947, assistant chargé de recherche au laboratoire de physiologie et d’hydro climatologie à l’institut des hautes études de Tunis, en octobre 1952, chef de travaux pratiques des certificats de diététique et d’hygiène alimentaire ( certificat institué par arrêté de la direction de l’instruction publique du 4 mars 1953: journal officiel Tunisien du vendredi 6 mars 1953 ), le 1er janvier 1957, maître de recherche chargé des cours et travaux pratiques des certificats de diététique et d’hygiène alimentaire, Chef de la section de nutrition au Secrétariat d’état à la santé publique et aux affaires sociales ( 27 décembre 1960 ) et Directeur de l’école supérieure de nutrition destinée à former des techniciens supérieurs en sciences de la nutrition ( 1er octobre 1969 au 1er octobre 1976 ).
Abderrahman Dziri avait été membre de plusieurs sociétés savantes : Société des sciences Médicales de Tunis (en 1948), Société de nutrition et de diététique de langue française (1963), Société Tunisienne de Diététique et d’Hygiène Alimentaire (1966-1975) (JORT: VISA N°3886 du 12 Janvier 1968 ) ( Membre et Président de la dite société ), Société de chimie Biologique de France (Membre élu lors de la séance du 4 Mai 1948 ), Société de Gastro-entérologie de Tunisie ( en 1951 ), Société de pharmacie de Marseille ( en 1952 ), Association Française pour l’avancement des sciences ( A.F.A.S ) depuis le 16 Mai 1951 ( annonce parue dans son organe officiel la revue « SCIENCES » 1951 ), Société Internationale pour la recherche sur les maladies de civilisation et les substances vitales ( 7 septembre 1971 ), Membre délégué pour la Tunisie au bureau de la « Société des docteurs en pharmacie de France et de l’union Française » désigné lors de l’assemblée générale du 8 mars 1964.
Il avait été décoré à deux reprises, le 9 novembre 1950, en recevant les insignes de Commandeur du Nichan Iftikhar des mains du Bey, Mohamed Lamine 1er pour ses activités au sein de l’Institut des hautes études de Tunis, et ceux d'officier de l’ordre de l’indépendance des mains de Bourguiba, le 1er juin 1966, eu égard à son action pour l’indépendance de la Tunisie.
Il avait aussi une activité sociale très dense ayant été membre fondateur du Croissant rouge Tunisien créé le 7 octobre 1956, membre de l’Alliance islamique d’études et de recherches et Vice Président d’une Société omnisport et musicale dénommée «La Musulmane». Il avait, également, participé à l’élaboration des Plans de Développement Economique et Social: Plan 1965 – 1968: dans le sous comité sectoriel « population et de l’action sociale », et le Plan 1969 – 1972: dans le comité sectoriel de la nutrition et de la planification alimentaire.
Dans sa lettre, en date du 20 décembre 1963 destinée au Secrétaire d’Etat à la santé publique, le Professeur Zouhair Kallel, juste avant son retour définitif à Tunis, avait reconnu que l’aspect prophylactique, social, éducatif et de recherche de la nutrition était «déjà mis sur pied par M. Abderrahmane Dziri et dans une autre lettre destinée à ce dernier, il précisait qu’il était « heureux de pouvoir trouver un aîné à Tunis».
Ainsi fut la vie de Abderrahman Dziri, une vie menée au pas de charge, entièrement dédiée à son pays, d'abord à sa liberté, ensuite à sa reconstruction sans qu'il ne cherche à en tirer une quelconque vanité ou un profit matériel.
Son neveu Chadli DZIRI