Blogs - 01.12.2008

Une soirée aux urgences

Une soirée aux urgences:

Il existe un monde dont je n’avais jamais soupçonné l’existence avant qu’une petite mésaventure m’amena tout droit vers la porte des urgences  d’un grand hôpital de Tunis. Ma longue soirée débuta vers 22h lorsqu’un proche s’était ouvert une plaie sur l’avant bras à la suite d’un accident domestique banal comme il y en a tant.

Dans un couloir sombre où on attendait patiemment notre tour, s’opérait un formidable brassage entre les différentes couches sociales. Mais ce qui avait retenu mon attention, c’était la grande tension qui y régnait. On s’y serait cru dans une foire d’empoigne. Les gens ne se parlaient pas, ils hurlaient, ils vociféraient, ils se  regardaient en chiens de faïence, ils en venaient  presque aux mains. Le problème, c’est que dans ce brouhaha, on ne savait pas qui avait tort et qui avait raison car de pareilles conditions génèrent souvent des situations irrationnelles.
 
 
C’est  peut-être cela qui poussa un interne de garde à user de ses cordes vocales pour faire vibrer cette salle d’attente comme s’il voulait rappeler à tous ceux qui attendaient qui était le maître des lieux. Mal lui en a pris puisque les cris reprirent de plus belle. Un patient qui s’efforçait, jusque là de garder son calme interpela soudainement un médecin sur un ton comminatoire, lui reprochant de lui avoir prescrit un médicament   « inapproprié » selon ses dires
 
A l’autre bout du couloir, un autre malade pointait un doigt accusateur vers un infirmier qui, apparemment, n’en avait cure. Un médecin qui passait en coup de vent lança, désabusé : «décidément, la blouse blanche n’impose plus le respect.» Mais les plus bruyants étaient les parents des malades et surtout des accidentés. Ces derniers  étaient, paradoxalement, calmes, stoïques même, appelant parfois leurs proches à la raison.
 
Une heure après, ce n’était toujours pas fini. Un soulard venait régler quelques comptes avec un ouvrier et c’est grâce à l’intervention des gardiens que le malentendu est levé. Bref, une véritable cour des miracles. Plus d’une fois, le ton montait jusqu’à atteindre le point de non retour ou presque puisque l’irréparable n’aura pas lieu, personne ne tenant à franchir la ligne rouge.   
 
Malgré la présence de nombreux vigiles, on n’arrivait pas à se sentir  à l’aise, mais faute d’alternative on prenait notre mal en patience  en attendant que notre messie daigne  prodiguer ses soins.
 
Les visages inquiets et les victimes d’accidents de la voie publique qu’on ramenait en catastrophe et surtout la vue du sang dont étaient couverts certains accidentés ne faisaient que raviver notre angoisse. En entendant certains malades crier leur souffrance et désapprouver cet accueil peu enviable à leurs yeux on se perd dans notre jugement ne sachant plus quel parti est le plus à plaindre.
 
Vers 3 heures du matin, la salle commençait à se vider de ses occupants, les accidentés ont été acheminés vers les services concernés. Leurs parents sont rentrés les uns rassurés, les autres inquiets. La salle devint calme, le personnel plus souriant, des discussions s’engageaient entre les patients, chacun s’enquérant de la santé de l’autre, une fraternité s’établissait entre des gens qui, quelques minutes auparavant, se lançaient des invectives. Quelques uns s’échangeaient  leur numéro de téléphone, d’autres se donnaient même l’accolade se perdant en excuses sur leur comportement de tout à l’heure.
 
Après quelques heures d’attente, ce fut enfin notre tour de nous présenter. Quelques points de sutures, un interrogatoire soigneux et un au revoir venait clore notre soirée mouvementée. Le médecin s’excusa pour notre longue attente nous expliquant qu’en médecine on ne pouvait appliquer le célèbre adage : «premier arrivé, premier servi» vu que les cas sont traités suivant l’urgence qu’elles présentent.
 
Nous partîmes, heureux tout de même de pouvoir rentrer, priant le ciel de ne plus avoir à y retourner. 
 
 

            ABDELJELIL