Opinions - 25.11.2008

Opinion, audience et politique : limites et dérives

 En démocratie, dit-on, l’opinion publique est reine. Et depuis quarante ans, l’art de gouverner passe par une double maîtrise, celle de la perception des attentes et des réactions de l’opinion et  celle de l’influence des médias. Pourtant la période récente révèle les limites de cette évolution  et laisse apparaître d’étonnants paradoxes.   

1-On constate ainsi  : premier paradoxe, que les techniques de mesure de l’opinion, comme celle des médias , ont progressé mais que pourtant leur fiabilité tend à diminuer.
Ainsi, malgré les progrès de la statistique, les techniques d’échantillonnage sont plutôt mises en cause : limites de la catégorisation par CSP, tri par les proximités politiques menacé par l’instabilité (« le  zapping électoral » du citoyen français.. Le mode de passation des questionnaires a souvent changé : du sacro-saint face à face, pourtant enrichi de méthodes CAPI, on est passé au téléphone qui assurait une meilleure pénétration, puis la généralisation du mobile bouleverse la donne. Les redressements sont devenus objet de polémique et de suspicion. On en vient, pour travailler « sérieusement » à des techniques très différentes en revenant aux focus groups et en redonnant la « primauté au quali » ou bien à ne s’en tenir qu’à des séries longues et à des indicateurs récurrents. 
 
Même interrogation s’agissant de la mesure d’audience des médias, notamment en France où elle avait pourtant atteint un degré élevé de sophistication, mais où elle n’a pas anticipé les évolutions de la « consommation-médias » (multi-accès, multiplication des plates-formes, consommation différée..)
 
2-Le second paradoxe  :
 
est que les mesures de l’opinion ou d’audience sont souvent utilisées comme des instruments de communication destinés à orienter l’opinion, qu’ils sont supposés refléter !. Les sondages –souvent simplifiés  - sont devenus des produits de presse et des événements politiques. Questionnaires orientés, présentations simplistes, commentaires incitatifs : on assiste à une dégradation du « statut » des sondages, qui deviennent des outils d’influence. C’est le monde à l’envers.
 
3-On débouche sur un constat :
 
c’est bien la gouvernance qui est en question. Le rapport du politique à l’opinion change en profondeur. Si l’instrument de connaissance de l’opinion devient un outil de formation de l’opinion, on est face à une perversion. Si c’est un instrument de pilotage, ce qui est sa nature, c’est la décision politique qui est en cause : est-elle éclairée ou dictée par la connaissance de l’opinion ? Quelle marge se donne le politique si attentif aux évolutions de l’opinion ?
 
Répondre aux attentes des citoyens est le fondement de la démocratie. Cependant n’agir qu’en fonction de ces attentes n’est pas gouverner, c’est la dérive vers la démagogie ou vers l’inaction. La voie de la gouvernance moderne est étroite.
 
 
Jacques Bille :
Professeur associé à l’Université Paris II Panthéon Assas
Ancien directeur du Service d’Information du Gouvernement
Ancien délégué général de l’Association des Agences Conseils en communication

 

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