Opinions - 15.10.2008

Crise financière : Quel impact sur la Tunisie ?

Comment faut-il comprendre la crise financière américaine liée aux subprimes, déclenchée l’été 2007 ? Quels sont ses risques et cela pourrait-il impacter l’économie tunisienne. Même si la Tunisie ne fait pas partie du champ direct de la crise, elle ne saurait être à l’abri des répercussions indirectes. Mais à moindre frais, grâce à la qualité de ses fondamentaux sains, à l’assainissement du système bancaire, à la conversion des banques de développement en banques universelles et aux grandes réformes engagées. Analyse d’un financier tunisien averti.

La crise financière américaine fait partie de ces crises cycliques qui secouent périodiquement la sphère financière internationale et qui à chaque fois mettent l’accent sur l’existence de certaines défaillances et conduit à la mise en place d’actions correctives pour mieux sécuriser et faire évoluer les pratiques financières internationales.

Si les crises financières font partie de ces cycles de corrections apportées par le marché pour corriger les fortes distorsions entre la sphère financière et l’économie réelle, nous sommes en droit de nous poser la question pourquoi certains experts redoutent les conséquences de la crise actuelle sur l’économie mondiale et la compare à la crise financière mondiale de 1929 ? Je pense pour ma part qu’il y a au moins trois principales raisons :

  • L’importance des pertes liées à cette crise vont nécessiter l’injection d’un millier de milliards de dollars est à comparer par exemple à la dernière crise asiatique d’il y a dix ans dont le coût a été de l’ordre de 250 milliards de dollars.
  • La crise s’est déclarée aux U.S.A. première puissance économique et financière, réputée pour l’efficacité et la forte productivité de ses entreprises et qui a toujours servi de modèle et d’exemple à suivre pour les autres pays développés.
  • Avec la mondialisation de l’économie, la généralisation des supports modernes de communication, et l’existence des U.S.A. au centre de l’économie mondiale, il y a de fortes craintes de voir la crise se propager pour atteindre l’ensemble des pays à des degrés différents et en fonction de leur niveau d’intégration dans l’économie mondiale.

S’il est admis que cette crise n’est fondamentalement pas différente des crises financières vécues par le passé, elle peut être jugée originale de part son ampleur et ses conséquences sur le paysage financier mondial dont certaines sont connues et d’autres pourraient se révéler dans un proche avenir.

A cet effet, il conviendrait de rappeler que cette crise déclenchée par une forte perte d’actifs liés aux crédits hypothécaires appelés, subprimes, a commencé en juillet 2007 par la Banque Bear Steams qui a informé ses clients que son activité de base (core business) de gestion de Hedge funds connaît certaines difficultés liées à l’effondrement du secteur immobilier. Cette démarche de transparence a été sentie comme un aveu d’échec d’une banque d’affaires et d’investissement classée cinquième dans le monde. La perte de confiance qui a suivi cette déclaration a conduit à sa reprise par JP Morgan Chase avec une aide financière de 30 milliards de dollars.

La crise s’est propagée rapidement pour toucher Lehman Brothers, quatrième banque, des Big Five des banques d’affaires, qui après des tentatives infructueuses de recherche d’acquéreurs s’est trouvée obligée de se déclarer en faillite. Cette annonce confirme l’ampleur de la crise qui vient à bout d’une banque créée en 1850 et qui, par le passé, a réussi à surmonter la crise financière de 1929.

La crise de confiance a continué à progresser pour atteindre Merrill Lynch, la troisième banque des Big Five.

Malgré ses efforts de sauver AIG, Merrill Lynch ayant constaté l’insuffisance de ses fonds propres, s’est trouvée obligée de se vendre à Bank of America.

Venu le tour de la deuxième banque Morgan Stanley. Des rumeurs persistantes ont véhiculé un projet de rapprochement avec la banque commerciale Wachovia.

Devant la progression rapide de cette onde de choc qui aurait pu entraîner les deux leaders restant des banques d’affaires, les autorités américaines ont décidé d’agir vite pour arrêter l’hémorragie en proposant à ces deux banques de changer de statuts pour devenir des holding bancaires afin de pouvoir bénéficier d’un financement direct de soutien de la FED.

De même les autorités financières américaines ont décidé de mobiliser 700 milliards de dollars pour le rachat des créances pourries des subprimes qui plombent les institutions bancaires avec une première opération de sauvetage du premier assureur mondial AIG qui évoluerait probablement vers une nationalisation de l’institution.

Ces autorités ont également décidé d’agir sur le vecteur de propagation de la crise en interdisant les opérations d’achat à découvert qui favorisent la spéculation.

Maintenant quelles sont les premières conclusions et les renseignements que nous pourrions tirer de l’évolution de la crise et des décisions prises pour la contenir :

  • La recherche continue du profit a poussé les banques à se débarrasser par la technique de titrisation des créances grandes consommatrices de fonds propres en vendant sur le marché des titres d’un paquet de créances variées. L’acheteur ne connaît pas la véritable composition des créances mais se décide en fonction de la note attribuée par une agence de notation laquelle agence fait son analyse du risque en se basant sur les informations fournies par la banque émettrice.
  • Ce manque de transparence dans le processus ne permet pas à l’acquéreur, telles que les compagnies d’assurances et les gestionnaires d’actifs, d’évaluer son exposition par rapport à un risque final donné.

    De même, le développement par les banques des CDS (qui sont une sorte de couverture contre la défaillance de paiement sans mouvement de fonds) ajoutée à leur engagement excessif de financement de l’acquisition de titres à crédits a créé un mouvement continu et rapide de transfert de risques difficile à cerner.

  • Les premières victimes de la crise ont été les banques d’affaires et la première assurance qui sont le maillon faible des institutions financières puisqu’elles ne disposent pas de fonds de dépôt qui auraient atténués la crise de liquidité.

    De même les banques d’affaires se sont elles-mêmes fragilisées en abusant de l’effet de levier et en se mettant à gérer leurs propres capitaux au lieu de se consacrer essentiellement à la gestion de fonds pour compte de tiers.

  • Cette crise nous rappelle que la Finance est synonyme de confiance terme qui est à l’origine même de la notion de crédit. A partir du moment où la confiance est entamée, la descente à l’enfer est inéluctable.

    A ce titre, l’intervention de la FED et du trésor américain n’apporte peut être pas la solution à la crise mais a le mérite de rétablir la confiance du marché.

  • La banque, même si elle est privée par la structure de son capital, devient publique par son rôle dans l’économie d’un pays et ne peut de ce fait être abandonnée aux aléas du marché.

    L’intervention des pouvoirs publics dans un pays leader du libéralisme marque certainement une évolution voire une révolution et peut être un retour gradué à une certaine régulation du marché.

  • La crise n’a pas encore donnée tous ses secrets, les débats vont se poursuivre et d’autres décisions seront annoncées. Entre temps l’économie mondiale va souffrir d’une instabilité financière et de la restriction des crédits avec comme conséquence une baisse de l’investissement et de la croissance.

Pour terminer cette analyse, il est naturel de se poser la question quel impact aurait cette crise sur l’économie tunisienne ?

Tout d’abord, il faudrait rappeler qu’avec la mondialisation et l’ouverture des marchés, tous les pays deviennent interdépendants et subissent par conséquent les effets de tout événement important qui se déclare dans un pays ou une région donnée en fonction de leurs degrés de proximité économique.

La Tunisie qui est un petit pays avec un petit marché financier n’est pas dans le champ direct de propagation de l’onde de crise partie des U.S.A. mais va subir comme même les effets indirectes de la crise et ce, en liaison avec :

  • Un risque de panique qui conduirait les investisseurs de portefeuille à la recherche de liquidité de liquider sans discernement leurs actifs même dans les marchés des pays émergents.
  • L’augmentation du coût des crédits avec ses conséquences sur le service de la dette.
  • Une instabilité monétaire et fluctuation du prix du pétrole.
  • Une détérioration des termes des échanges et l’accélération d’un phénomène d’inflation subie.

Toutefois la Tunisie a la chance d’avoir une gestion macroéconomique saine de son économie, avec un savant équilibre entre liberté d’action pour l’initiative privée et un rôle d’arbitre présent de l’Etat. En plus, les autorités tunisiennes ont eu la sagesse et l’inspiration d’engager pendant les dernières années plusieurs actions et réformes du système bancaire qui s’avèrent aujourd’hui forts utiles pour mieux résister à la crise.

En effet, un grand effort d’assainissement du système bancaire a été entrepris à temps et la quasi-totalité des banques de la place ont procédé à un renforcement conséquent de leurs fonds propres. De même les banques d’investissement qui n’avaient pas le droit de collecter des dépôts ont changé de statuts et sont devenues des banques universelles.

Pour conclure, il faudrait dire que le pire a été évité pour que la crise des subprimes ne se transforme pas en un véritable crash, mais il conviendrait d’attendre la concrétisation des mesures annoncées par les autorités fédérales américaines et les résultats des analyses en cours pour mieux cerner l’impact final de cette crise qui n’a pas livrée tous ses secrets.