Khadija T. Moalla: Depuis quand les circulaires ministérielles sont-elles plus importantes que la Constitution?
Depuis les années 70 et jusqu’à aujourd’hui, il semblerait que certains Ministres de Bourguiba, Ben Ali et les gouvernements d’après Janvier 2011, ont décidé de gérer des faits juridiques grâce à des circulaires contraires à la loi, à la Constitution et aux conventions internationales ratifiées par la Tunisie.
Le but de cet article est d’aller au-delà de ces décisions unilatérales ministérielles et de poser la question fondamentale de droit qui consiste à s’interroger sur la valeur juridique des circulaires ministérielles qui ont régi la vie des Tunisiens et surtout des Tunisiennes pendant de longues périodes bien qu’elles aient une valeur juridique des plus inférieures dans la pyramide juridique? Comment expliquer et justifier l’acceptation par la majorité des citoyens, de cette aberration juridique plaçant un Ministre au-dessus du parlement, et ses circulaires au-dessus de la Constitution, compromettant ainsi, la garantie d’un Etat de droit?
Peut-être que la goutte qui a fait déborder le vase a été la Note ministérielle du Ministre de la santé, adressée aux services de santé publics. En effet, le 10 Août 2018, il a publié, la Note No 45, demandant aux médecins et sages-femmes de déclarer aux autorités tout cas de grossesses hors mariage et tous les cas de naissances hors mariage.
Mais le Conseil National de l’Ordre des médecins, dans son communiqué du 8 Septembre 2018, a refusé de transgresser le respect du secret professionnel médical, des libertés individuelles ainsi que la protection des données personnelles. En effet, les médecins se sont engagés à respecter la loi, en ne déclarant aucun cas, se contentant de s’adresser aux autorités responsables de la défense de l’enfance, au cas où une jeune maman ne peut pas s’occuper de son nouveau-né et est obligée de le confier au personnel de l’hôpital.
Rappelons si besoin est au Ministre qu’il ne peut pas transformer les médecins, qui ont prêté le serment d’Hippocrate, en agent des services de renseignements! La mission fondamentalement humaine d’un médecin est de secourir toute personne qui en a besoin. Or, une femme qui vient accoucher a besoin de tout le soutien matériel, physique et psychologique que le corps médical et paramédical puisse lui accorder, en toute sérénité. Faire subir à cette femme enceinte un interrogatoire est inhumain et risque de compromettresa santé physique et mentale.
Même si cette Note veut être comprise comme rappelant la circulaire No 64 du 27 Juillet 2004, personne n’est dupe de son objectif réel. En effet, si la circulaire de 2004 avait pour but de protéger la future maman et son bébé, la Note de 2018, a un but inquisiteur basé sur une idéologie qui se permet de s’immiscer dans la vie privée des citoyens (nes). La question légitime que nous sommes en droit de poser, dans ce cadre, est relative au sort réservé à ces femmes enceintes hors mariage, dont l’identité a été révélée?
Je me rappelle la dernière discussion que j’ai eu avec le grand militant Feu Si Salah Zghidi, deux mois avant qu’il ne nous quitte, à propos de la position des forces progressistes quand un certain Ministre, en 1973, avait annulé le droit des femmes Tunisiennes de se marier avec un non Musulman, car je ne me rappelais pas qu’il y ait eu des manifestations de la société civile contre pareille circulaire. Si Saleh m’avait dit que la gauche de l’époque avait d’autres priorités et avait malheureusement laissé passer une circulaire contraire à la loi, alors qu’elle aurait dû s’y opposer.
N’oublions pas de mentionner en passant, que bien que cette circulaire ait été annulée en Septembre 2017, à la suite de l’initiative du Président de la République d’instaurer une Commission pour l’égalité et les libertés individuelles (COLIBE), le Président du Conseil municipal du Kram, un juriste de surcroît, ose contrevenir à la loi endéclarant son refus de l’appliquer. Comment accepter pareille déclaration?
A la même époque, une autre circulaire, contraire à la loi, avait refusé l’adoption d’un enfant Tunisien, par les couples de pays Arabes.D’où l’utilité d’établir la liste de toutes les circulaires ministérielles contraire à la loi afin de comprendre notre responsabilité collective de ne pas nous y être opposé, à quelques exceptions près. Malgré ces exceptions, aucune action n’a réussi à les faire annuler et elles ont continué à sévir pendant plusieurs années, faisant de notre Etat, un Etat de non droit!
Pour ma part, ces circulaires n’ont pas été dénoncées car chaque fois elles ont concerné une minorité et face à cela, la majorité n’a pas ressenti la responsabilité d’être solidaire et le devoir moral de défendre les droits acquis de cette minorité.
Parallèlement, il semblerait qu’il y’ait une remise en cause en pratique dudroit à l’avortement et la légalité des maisons closes dont 12 sur 14 ont été brûlées et fermées après le soulèvement de Janvier 2011, laissant ces femmes sans protection hygiénique pour elles-mêmes, risquant ainsi la propagation des maladies sexuellement transmissibles à toute la population des hommes qui les fréquentent et leur épouse.
Par ailleurs, l’augmentation des viols odieux commis ces derniers mois n’est probablement pas étrangère à ces fermetures.
Que ce soit en droit ou en pratique, les forces obscurantistes sont entrain de tout faire pour changer la culture protectrice des droits et des libertés de notre pays. Si nous n’y prenons pas garde, nous pourrons nous réveiller un jour avec un pays complètement défiguré, où les droits humains universels ne seront plus respectés car chaque Ministre ou Président de Conseil Municipal se permettra de régir le pays, selon l’idéologie qu’il défend.
Il est temps que toutes les forces démocratiques et progressistes s’unissent dans un front solidaire pour faire face à toute décision anticonstitutionnelle contre les droits humains et les libertés individuelles d’une minorité quelconque!
Seule notre unité et notre solidarité nous sauveront.
Khadija T. Moalla
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Totalement d'accord avec ces propos, il y'a une islamisation rampante mise en place.
Pour réponde à votre question, je dirais: depuis quand a-t-on de vrais avocats? Voyez ce qui se passe à l'étranger, des avocats passent des années pour casser un jugement qu'ils estiment non constitutionnel...avez-vous entendu parler, ici, d'un avocat qui a osé faire ce parcours pour l'une des nombreuses circulaires avec lesquelles on nous gouverne depuis des années? nos avocats sont bons pour chercher leur propre intérêts, pour faire de la politique..pas pour autre chose