Chaker vu par Mohamed Ghannouchi: Je connaissais l’excellent technocrate, j’ai découvert l’homme politique courageux
Avec une grande émotion et une incommensurable peine, j’ai appris la disparition tragique de Slim Chaker, dans la fleur de l’âge, au summum de la maturité professionnelle. C’est une grande perte pour ses amis - et ils sont très nombreux - et pour le pays qui a besoin, plus que jamais, des compétences de la trempe de Slim Chaker.
J’avais pour l’illustre disparu de l’estime et de la considération. Il avait été un grand commis de l’Etat, un fervent patriote, ayant toujours mené avec passion les missions qui lui sont confiées.
Je l’avais connu en 1986, lorsque, fraîchement débarqué de la prestigieuse Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique de Paris, après avoir décroché son diplôme d’ingénieur principal, il a tenu à rejoindre le ministère du Plan pour servir dans le secteur public, malgré les offres alléchantes du secteur privé. A cette époque, il ne laissait personne indifférent, tellement il faisait preuve de sérieux et de rigueur.
J’avais eu, avec lui, de nombreuses séances de travail très constructives, lorsqu’il avait été chargé entre 1998 et 2008 de la gestion et de la coordination du Fonds d’accès aux marchés d’exportations (Famex) initié avec la Banque mondiale. La mission était difficile. Il fallait encourager les entreprises à aller dans de nouveaux marchés autres que les marchés traditionnels et aider la PME qui a un potentiel d’exportation à «casser la barrière psychologique» qui l’empêchait de développer ses activités à l’international.
S’investissant à fond dans cette mission qu’il considérait comme exaltante étant donné les importantes retombées de la promotion de l’exportation sur le processus de développement du pays, Slim Chaker a réussi à relever brillamment le défi de créer une nouvelle génération d’exportateurs et d’entreprises exportatrices. Les résultats obtenus sont impressionnants. Ils ont même dépassé de 70 pour cent les objectifs assignés, qui étaient pourtant considérés, au départ, optimistes.
Lorsque je l’avais pressenti le 16 janvier 2011 pour faire partie du gouvernement d’union nationale, alors qu’il était à Amman en Jordanie et s’apprêtait à rempiler pour un second mandat en tant que consultant international, il avait immédiatement donné son assentiment et a regagné Tunis pour se trouver, depuis, engagé dans le tourbillon de la vie politique.
Je connaissais Slim Chaker avant janvier 2011. Il avait la dimension d’un excellent technocrate, un bon spécialiste des secteurs du textile et de l’exportation. Je le découvre, au cours des quelques mois que nous avons passés ensemble dans le gouvernement d’union nationale constitué après la révolution, comme homme politique, ayant la répartie facile, le style direct et le courage de ses idées.
Il a fait, depuis, du chemin dans les méandres de la vie politique, devenant un important pilier de la nouvelle classe politique. Sa nomination récente à la tête du ministère de la Santé avait suscité, auprès de tous ceux qui connaissent le sens de l’abattement et de l’acharnement au travail du défunt, beaucoup d’espoir sur le redressement de l’hôpital public et la promotion de la santé publique en tant que secteur d’excellence d’exportation.
Le destin a voulu que la mort l’arrache brutalement à sa famille, à ses amis et l’empêche d’accomplir la noble mission dans laquelle il s’est engagé à bras-le-corps au détriment de sa famille et de sa santé. Il s’est dépensé sans compter, multipliait les visites dans les régions pour améliorer les conditions de travail dans les hôpitaux, n’écoutait pas les conseils pressants de ses amis pour se ménager. Jusqu’au dernier souffle de sa vie, il s’activait en faveur de la santé des Tunisiens. Les nouvelles sur son décès se télescopaient, d’ailleurs, avec ses déclarations à l’issue du marathon organisé par une association de lutte contre le cancer auquel il avait participé quelque temps avant la crise cardiaque qui l’a terrassé.
Paix à son âme. Puisse son exemple servir de référence et de modèle à la jeunesse tunisienne...
Mohamed Ghannouchi
Lire aussi
Chaker vu par Youssef Chahed : Un optimiste invétéré
Slim Chaker: A l'approche du 40e jour de son décès, Leaders revient avec des révélations exclusives
Chaker vu par Afif Chelbi: Compétence et abnégation
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Monsieur Mohammed Ghannouchi, que nous respectons toujours, sort de son silence.C'est bien.Se limite-t-il à écrire ses mémoires ou prendra-t-il son courage pour présenter une analyse de la situation économique que nous traversons et surtout les correctifs à apporter à notre politique économique au cas ou nous aurions véritablement une politique?Je crois que c'est là une obligation morale qui pèse sur ses épaules.