Mohamed Zine El Abidine : Gérer l’irrationnel et réaliser les grandes promesses
Reconduit à la tête du ministère de la Culture dans le dernier remaniement, Mohamed Zinelabidine revient sur son bilan à la demande de Leaders à l'instar des autres ministres du gouvernement Chahed I : ce qu'il a enduré, accompli et regretté:
Quelles sont les épreuves les plus difficiles que vous avez dû affronter?
La première difficulté pour un ministre de la Culture, c’est d’être confronté à la gestion de l’irrationnel et l’organisation du subjectif. D’abord au sein du ministère dont l’attribution des responsabilités et la distribution des tâches ne répondent pas toujours à une vision claire et justifiée. L’organigramme prévoit la chose et son contraire, une direction sectorielle centrale et un établissement qui a les mêmes attributions, avec en plus l’autonomie financière et administrative, agissant l’un contre l’autre, ce qui complique l’arbitrage au bénéfice de ce qui peut être entrepris. Un frein permanent au développement des trois registres essentiels de l’action culturelle que sont:
- le secteur du livre, de la lecture publique, des bibliothèques et de l’édition
- le secteur des arts, cinéma musique, danse, théâtre, en plus de l’événementiel artistique, festivals, expositions, journées thématiques...
- Celui également du patrimoine dont l’autorité est référée triplement et en même temps à l’Institut national du patrimoine, à l’Agence de mise en valeur du patrimoine et à la direction générale du patrimoine (au sein du ministère).
La seconde difficulté, c’est la disponibilité des ressources humaines qui souffrent soit d’une inadéquation entre formation de base et compétence requise par rapport à la fonction assumée, souvent en décalage ou en manque. C’est dire que ce ministère compte des compétences réelles, sans doute, mais doit-il s’ouvrir de surcroît à d’autres qualifications qu’il ne compte pas forcément pour régénérer ses moyens et ressources en terme de spécialisation et de performance ?
La troisième difficulté, c’est la distribution des deniers publics au regard des subventions et budgets alloués et mis en place face à une si forte demande des artistes, des acteurs et opérateurs de la société civile. Tout cela exige beaucoup de vigilance, de rigueur et de méthode qui ne sont pas forcément des traditions de ce ministère.
Quelles sont les trois principales mesures que vous avez prises et dont vous êtes le plus fier?
Le gouvernement d’union nationale a choisi pour principe d’action culturelle «la culture, un droit, partout et pour tous». De nombreux projets ont vu le jour depuis. Création d’une trentaine de centres régionaux nouveaux, de lecture et de culture publiques au titre de 2017. Appui à une centaine d’espaces privés à travers les régions afin de traduire au concret une politique culturelle de proximité et de quartiers. Nous avons initié pour ce faire, comme programme national, «Tunisie, cités des arts», où toutes les régions du pays ont inauguré leurs «places des arts». Plus d’une soixantaine en tout à travers la Tunisie diverse, y compris dans les campagnes. Symbole d’une appropriation symbolique et effective des espaces publics par l’art et la culture, ces places des arts sont devenues des lieux de liberté, de participation, d’imagination et d’inventivité citoyenne et pérenne.
Outre «Tunisie, cités des arts», nous avons financé les acteurs, les opérateurs et la société civile dans chaque région à travers un millier de projets culturels, répartis dans tout le pays, sur toutes les saisons pour que la culture soit un exercice global et durable, fédérant en même temps une notion d’économie inclusive et proactive en rapport avec le tourisme, les métiers de l’artisanat, la vie quotidienne, les petits métiers de consommation.
Le second programme national est dédié au patrimoine, il s’intitule «Tunisie, cités des civilisations» et rend accessibles les lieux de la mémoire plurielle pour en faire des lieux de connaissance, de reconnaissance et de médiation artistique. Sites, monuments et musées sont ouverts et investis de beaux programmes et parcours d’exploration qui ont drainé des milliers de visiteurs et participé à la valorisation de cette Tunisie millénaire.
Quant au secteur du livre et de l’édition, par la lecture publique, les bibliothèques et la production littéraire et scientifique, de nombreuses foires internationales ont été bien organisées, veillant à la participation qualifiée et qualifiante d’érudits, penseurs, chercheurs, écrivains tunisiens à travers le monde. C’est le sens de notre programme international «Visa for Tunisia» que de promouvoir l’histoire du pays, le talent des Tunisiens et leur contribution à l’histoire et aux valeurs universelles. Sans oublier aussi les nouvelles saisons culturelles que nous avons introduites, «Saison de la culture ouvrière» dans les régions de Gafsa, celle des «cultures insulaires» entre Djerba et Kerkennah, «Saison des cultures transfrontalières», en interface avec les pays géographiquement voisins. Parmi les innovations de ce gouvernement également, en termes de culture, les nouvelles Journées de Carthage qui ne se limiteraient plus dorénavant au cinéma, au théâtre et à la musique mais compteront trois autres dédiées aux «Journées poétiques de Carthage», «Les Journées chorégraphiques de Carthage», «Les Journées de Carthage des arts plastiques». Entre autres innovations, la mise en place actuelle du « Musée des arts modernes», de la «Cinémathèque nationale» et du «Théâtre de l’Opéra de Tunis» avec son orchestre, son chœur et son ballet, toutes des créations nouvelles. En plus, le «Centre de Tunis pour l’investissement culturel «, l’ensemble logé à la Cité de la culture et dont l’installation et l’ouverture se feront à partir d’octobre 2017.
Le ministère des Affaires culturelles est ainsi appelé à se réorganiser pour un meilleur déploiement de ses ressources pour mieux conjuguer ses efforts, accorder ses violons et aller vers des objectifs communs d’activités, de croissance et de développement. Redoubler ses moyens entre public et privé pour satisfaire des demandes de subvention, de soutien et d’accompagnement. Le tout, au moyen d’un arsenal juridique dont les textes sont en cours. Un véritable défi à porter et dont est suffisamment conscient le gouvernement d’union nationale.
Qu’est-ce que vous regrettez de n’avoir pas accompli à ce jour et comptez-vous le rattraper bientôt?
Pour ce vaste dessein culturel, le gouvernement d’union nationale compte sur une politique de meilleure valorisation du patrimoine matériel et immatériel. Le programme «Tunisie, cités des civilisations» est déjà en cours pour ce faire. Une meilleure réponse à la culture de proximité et de soutien aux acteurs, opérateurs et société civile à travers toute la Tunisie. Là aussi, le programme national «Tunisie, cités des arts» ambitionne d’assumer encore mieux son rôle à travers toutes les régions et mieux défendre une politique citoyenne entrepreneuriale, sans exclusive. Une meilleure politique, y compris les taux d’encadrement pour le livre, la lecture, l’édition avec plus de moyens et de méthodes. Une meilleure politique de valorisation de l’action culturelle dans les régions, pour répondre à plus d’efficience, en termes de formation, de création, de médiation, de production et de distribution.
Le passif de la politique culturelle est tel qu’il faut, en même temps que réformer, s’assurer que le dysfonctionnement, l’anarchie et le désordre ne reviennent pas de sitôt, car la culture est d’abord et avant tout un ordre de l’esprit, de l’éthique et de la citoyenneté participative. C’est un secteur de grande promesse pour le développement intégral et global si on veut l’entendre ainsi. De même qu’il peut redevenir un secteur de grande confusion et amalgame des genres, des moyens et des personnes si on laisse faire... C’est tout le défi.
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