Taoufik Habaieb : Débloquer l’avenir de la Tunisie et des Tunisiens
Quels que soient son périmètre et ses nouvelles figures, le remodelage du gouvernement ne suffira pas à répondre aux exigences de la situation et aux attentes des Tunisiens. Dans cette aberrante logique de quotas entre partis au pouvoir, la compétence n’est guère la première valeur prise en compte, devancée de loin par l’obédience et l’allégeance.
Qu’il change ou non de ministres, Youssef Chahed reste l’otage du même système qui l’enlise davantage sous des pressions qui ne lui donnent guère les moyens d’accomplir sa véritable mission. Abandonné à son destin, il ne trouve soutien, jusque-là, qu’auprès du président Caïd Essebsi et, dans «une compréhension critique», l’Ugtt. Versatile, fugace et non encartée dans un parti, l’opinion publique l’applaudit au lendemain du coup de filet du 23 mai, mais son appui ne se traduit pas en voix effectives au sein du Parlement.
Le temps est compté pour le locataire de la Kasbah, censé être l’incarnation de la majorité. Son gouvernement est programmé pour tenir, théoriquement, jusqu’à début 2020. C’est-à-dire la passation, fin janvier ou début février, avec le nouveau gouvernement qui sera issu des élections de fin 2019. Mais, d’ici là, sous un ciel assombri, les signes avant-coureurs de tempêtes successives semblent alarmants, malgré toute la baraka escomptée.
Le blocage politique décrié ne saurait occulter la primauté de l’économique et du financier. Le grand brasier est celui du crash des finances publiques, l’explosion de la balance commerciale aggravant la dépréciation vertigineuse du Dinar, et le gouffre béant du déficit sans cesse accumulé par des entreprises publiques à l’agonie.
Plus que jamais, l’Ugtt reste accrochée à ses lignes rouges : pas de privatisation, pas de partenariat public-privé, pas de licenciements, pas de réformes douloureuses. Pas de ciblage de la compensation, pas de compression du commerce parallèle, pas de lutte contre le système fiscal forfaitaire et l’évasion fiscale, renchérissent les uns. Pas de traque généralisée et intensive de la corruption, de contrôle du financement étranger des associations, des partis et des médias hors la loi, et pas d’inspection de crèches, jardins d’enfants et écoles privées, illégaux ou autorisés, embusqués derrière l’enseignement religieux, clament les autres. Pas de sanctions pour des fonctionnaires fantômes, indisciplinés et prédateurs qui encombrent l’administration publique. Leurs syndicats se complaisent dans l’impunité. Les mains de l’autorité sont liées.
Youssef Chahed est-il conscient des limites de sa politique jusque-là déployée, de son mode de gouvernance, de sa pédagogie pour expliquer son action ? Mesure- t-il à leur juste valeur ses rapports avec les autres institutions et les forces qui comptent dans le pays ? Peut-il s’inventer de nouveaux ressorts puissants pour rebondir et revoir sa vision, sa stratégie, ses priorités et son style de gouvernement ?
S’enfermer dans une bulle risque de déformer sa perception de la réalité et de réduire sa marge de décision. Jusqu’à preuve du contraire, aucun électrochoc tenté par Chahed et ses prédécesseurs n’a suffisamment secoué les Tunisiens. Sauf l’opération coup de poing du 23 mai, restée sans suite soutenue et irréversible. La forte approbation qu’elle a suscitée a rapidement succombé au torpillage et à l’étouffement.
Plus qu’un choc, il faut se lancer à l’assaut. Youssef Chahed n’a plus le choix.
On attend de lui des signaux forts. En tout premier lieu, dédier un ministère aux grandes réformes, à la privatisation, au PPP et au développement. Il doit manifester au plus vite sa détermination à faire sauter les tabous et franchir les lignes rouges imposées.
Les Tunisiens se tournent-ils tous vers un horizon commun ? Partagent-ils les mêmes rêves ? Pourquoi le passé leur paraît-il meilleur? Face à l’indifférence des autres acteurs qui empêchent la prise en charge de ce questionnement, que fait le gouvernement ? Youssef Chahed est-il à même de neutraliser la nostalgie d’un passé révolu, pour la convertir en nouvel espoir, en nouvelle confiance ? Songe-t-il à rendre les utopies réalistes ? Envisage-t-il une politique et une économie du bien- être? Peut-il permettre aux Tunisiens de réaliser leur vie, retrouver le bonheur et la joie de vivre?
Sceptiques de nature, désenchantés par la « révolution » et déçus de leurs gouvernants, ils voient l’avenir plombé, incertain, menaçant. Saignées par l’avalanche des charges écrasantes du Ramadan, des vacances, des mariages et de l’Aïd, les familles doivent affronter, en cette rentrée, les frais de scolarité exorbitants de leurs enfants, dans un système éducatif désuet, loin de l’esprit du XXIe siècle. Surtaxées et fragilisées par la concurrence et la sous-capitalisation, les entreprises sont en lutte pour la survie.
La mainmise des forces hégémonistes intoxique la vie politique et l’économie. Le lynchage médiatique et parlementaire s’y ajoute pour priver les rouages de l’Etat des meilleures compétences, entraver les décisions appropriées et assombrir l’horizon.
Débloquer l’avenir de la Tunisie, la libérer de tous ces boulets s’érige en priorité salutaire. C’est la mission première de Youssef Chahed. En sera-t-il capable ?
Taoufik Habaieb
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le constat est là mais la volonté absente.Réformer demande un programme,une pédagogie , une autorité. La paralysie de chahed par des forces obscures et anti- patriotiques anhile tout çà. Comme en 1880 l'État est en faillite . L'ignorance , le manque de vision et de compétences de ses dirigeants l'entrainent vers l'abime.
Sans un gouvernement de nouveaux visages ministeriels choisis selon des criteres rationnels solides tels que la competence, l experience , le savoir- faire et gerer, le sacrifice et l integrité, rien n ira vers le bien et on tournera ds un cercle vicieux ! Ce, aurait des fins desastreuses sur le pays. Bref, chers gouvernants, soyez pour une fois patriotiques! Le peuple en a marre !!!!!!
Depuis fort longtemps, mes commentaires ne sont pas validés, mais ce n'est pas grave, puisque j'en ai l'habitude, mais cela ne peut pas m'empêcher de dire ce que je pense. En effet, l'Analyse est remarquable. D'ailleurs, elle ne peut pas être autrement quand on connaît l'auteur qui brille par sa perspicacité et ses relations personnelles multiformes. On peut comprendre que les Forces Politiques et Syndicales qui occupent les devants de la Scène n'agissent pas dans le sens souhaité. Le Président du Gouvernement semble évoluer en roue-libre. Il n'a aucun filet de sauvetage, même la Société Civile semble profondément politisée. La seule frange de la population capable de soutenir indéniablement le MOUVEMENT-CHAHED, ce sont les Classes Moyennes. Or, grâce à la Révolution, cette frange de la population qui faisait l'honneur de la Tunisie se trouve acculée à payer la FACTURE. Pire encore, elle se trouve réduite comme une peau de chagrin. Moralité : Le Chef du Gouvernement doit être capable de RÉ-CRÉER les Classes Moyennes en les libérant de toutes les charges qui les écrasent, autrement, sa mission serait réduite à celle de Premier Ministre de Ben Ali.
SVP Les commentaires sont faciles Prière donner la solution
À mon avis Si Habaieb à su analyser la situation dans laquelle se trouve le chef du gouvernement. Effectivement la première mission de Si Chahed est libérer notre chère Tunisie des boulets ci-dessus mentionnés et se défaire du système imposé par les partis politiques. Mais cela ne sera pas facile. Que Dieu lui vienne en aide.
YC n'est pas l'homme de la situation. Il est là par le fait du prince. Politiquement, il est très moyen, incapable de fédérer et de mener une équipe gouvernementale. De plus, il n'a pas le sens de la bonne gouvernance (efficacité, efficience, transparence...) sinon il ne nommerait pas un gouvernement de 40 personnes, sans insister sur la méthode de recrutement. Il a aussi loupé le momentum de sa nomination et l'occasion de l'exprimer dans son programme et taper fort (se lancer à l'assaut) sur tous ceux qui essaient de détruire le pays (économie, social, culturel) et l'État civil en profitant de la démocratie. Il n'a pas non plus bien analysé les échecs des précédents gouvernements sur le fond et la forme. Bref, un remaniement ministériel (voire un remodelage) après à peine un an et demi et trois démissions, est une preuve d'échec. C'est aussi une preuve de l'échec cuisant du régime politique (ni-ni) et du mode de scrutin à la proportionnelle (choix des islamistes pour arriver au pouvoir) dans un pays sans culture démocratique.
Excellente analyse de la situation politique en Tunisie qui peut être résumée de la sorte: "Qu’il change ou non de ministres, Youssef Chahed reste l’otage du même système". Mais ce que je n'arrive pas à saisir chez l'auteur, c'est le fait de ne pas avoir soufflé aucun mot sur l'acteur majeur de nos malheurs à savoir le mouvement nahda dont son projet consiste à détruire volontairement l'Etat et l'Economie de la Tunisie!?
Seul un grand leader politique ayant obtenu une victoire electorale (voire pilitique...) claire pourrait libérer les forces vives du pays, faire rever et suer les tunisiens. Youssef Chahed n'a pour l'instant ni la légitimité politique ni le leadership pour mener l'électrochoc qui pourrait sauver notre pays... Que de temps perdu...
Mille et un BRAVOS..., mon cher Taoufik, Il était temps de dire les vérités, comme tu le fais ici, à tous les partis et aux instances politiques de tout bord pour sortir notre pays du marasme, de l'immobilisme et de la stagnation. N'attendons pas les promesses fumeuses des Zizaniens... Laissons le Gouvernement agir pour remettre au peuple tunisien sa joie de vivre et son bien-être! A bon entendeur à ton éditorial...Salut
La liberté d’expression est un nouvel acquis pour les Tunisiens- Merci de nous avoir permis de réagir dans votre espace oxygéné. En effet, notre premier ministre choisi et béni par la majorité des députés semble marquer un moment d’arrêt après l’offensive portée contre la corruption et les malfaisances dans notre pays. Il est vrai que le temps supposé mis à sa disposition à la Kasba, le presse à prendre les bonnes décisions qui permettent au pays de se protéger contre les méfaits des malfaisants. Il est vrai aussi que pour sa part l’UGTT, organe défenseur des employés, refuse des solutions proposées qui permettent de remettre la machine en bonne marche, tel que la valorisation du travail en tant qu’énergie productive de richesses en biens et services, l’allégement des charges publiques par la révision du nombre très important des employés administratifs sans rendement ou productivité tangible, etc.. De plus, notre actuel premier ministre est en train de faire face à un choix délicat entre la satisfaction des partis politiques et les compétences recherchées chez les personnes à désigner ministres. Cependant, et bien que la situation est difficile pour les honnêtes responsables au sommet du gouvernement, la nomination d’une personnalité ou d’une autre n’aura d’effet positif, que si cette dernière use de son savoir, de savoir-faire et de sa bonne image, pour résoudre certains problèmes difficiles non encore résolus. Agissant au même titre qu’un bon manager d’une équipe sportive, le premier ministre sera-t-il attentif aux pathologies qui ont participé le blocage du travail du groupe appelé à vaincre les difficultés économiques, sociales et environnementales ? Sera-t-il patient pour apporter une impulsion remarquable pour sensibiliser le simple citoyen à se respecter et à respecter les bonnes mœurs, en vue de réduire les frais causés par le désordre et l’indiscipline collectifs devenus courants chez nous. Certes, la mission est bien délicate, mais l’impossible n’est pas tunisien, si le peuple collabore, ouvre ses yeux, s’organise et transforme son énergie éparpillées avec beaucoup de déperditions, en une autre plus orientée vers le bien-être de tous et la lutte contre la corruption et la peur de demain que nous souhaitons tous joyeux. Le déblocage de la situation générale revient aux gouvernements successifs, mais le bon fonctionnement de la structure dynamique, va dépendre des répartitions des charges et de la façon d’agir individuellement et en société. Nous sommes tous responsables par notre silence ou par nos paroles et gestes, car rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme (Mr Lavoisier). Seront nous plus innovateurs, conscients de notre transformation et avertis quant à son avenir dans le temps et dans l’espace ? Faute de quoi, Mr Chahed, ni ses ministres, ni ceux qui vont venir après, ne seront capables de changer d'un jour au lendemain une situation chargée d'histoire proche et lointaine. Certes faut-il débloquer la Tunisie par le changement du mental du Tunisien à travers une bonne gérance de tous les organes du gouvernement avec clarté, en sachant bien qui fait quoi dans notre pays. Merci encore pour cet espace d'expression responsable.
Comme à son habitude, Mr Habaied nous gratifie d'une excellente tribune, dérangeante mais si vraie. Rien n'est perdu si les Tunisiens font preuve d'un sursaut d'orgueil, relèvent leurs manches et cessent de geindre à longueur de journée. Youssef n'est pas un magicien et ne peut transformer un pays qui fait la sieste en nation prospère...