Saint-Valentin serait-t-il tuniso-allemand ? Le hasard du calendrier a voulu que ce soit précisément ce mardi 14 février qu’auront lieu les grandes retrouvailles entre l’Allemagne et la Tunisie, à la faveur de la visite que doit effectuer à Berlin le chef du Gouvernement Youssef Chahed. Deux jours durant, il aura à remplir un contrat essentiel : rétablir le climat de confiance qui a toujours caractérisé les relations entre les deux pays. « Une visite importante qui coïncide avec le 60e anniversaire de l'instauration des relations diplomatiques entre les deux pays, mais intervient à un moment bien difficile. Il reste que c'est en de pareilles conjonctures critiques qu’on peut exceller » commente à Leaders depuis la capitale allemande une source diplomatique. Un programme chargé, au pas de course.
Redresser autant que possible l’image de la Tunisie, rassurer nos partenaires, accroître l’aide publique allemande, attirer de nos nouveaux investisseurs, répondre aux interrogations des médias et renforcer les liens : une mission de haute importance.
Sécurité, appui financier et économique, conversion d’une nouvelle partie de la dette tunisienne en investissements, accélération du projet de l’université-tuniso-allemande, implication de la Tunisie dans les grands projets du Sommet G – 20 qui se tiendra cet été à Hambourg et le Plan Marshall promu par l’Allemagne en faveur de l’Afrique, mais aussi l'inititative tunisienne pour la Libye et bien d’autres dossiers important figurent à l’ordre du jour.
A la tête d’une délégation compacte mais significative, Youssef Chahed sera reçu par les trois premiers dirigeants allemands, s’entretiendra avec cinq ministres et multipliera les contacts avec des parlementaires, penseurs, journalistes et opérateurs économiques ainsi que des Tunisiens d’Allemagne. Il s'y est bien préparé avec son staff et arrivera à Berlin lundi soir pour être d'aplomb dès tôt le mardi matin.
Encore un hasard du calendrier, Chahed arrive en Allemagne le lendemain même des élections présidentielles. Dimanche 12 février, Joachim Gauck passe le pouvoir à Frank Walter Steinmeir, élu Président de la République fédérale d'Allemagne. Il entrera en fonction, en mars prochain. Grand ami, lui aussi, il a cité dans son premier discours de nouveau président ce que lui avait dit une activiste tunisienne pour la démocratie et les droits de l'homme lors de sa dernière visite en Tunisie "vous nous donnez du courage". « Cette remarque l'ayant marqué et inspiré car c'est principalement dans les moments difficiles de l'histoire, qu'il faut avoir le courage de surmonter ses craintes pour affronter un futur difficile », rapporte à Leaders un communiquant de la Kasbah.
Une affaire commerciale laisse cependant planer une zone d’ombre entre la Tunisie et l’Allemagne. C’est celle d’une compagnie aérienne tunisienne privée, actuellement en cessation d’activité. Non seulement elle ne paie pas la location d'avions obtenus auprès d’une firme allemande, mais encore elle refuse de restituer les aéronefs et empêche leur maintenance pourtant nécessaire pour sauvegarder le certificat navigation. Drapé derrière son immunité, le patron de cette compagnie refuse d’obtempérer aux multiples sollicitations.
Analyse.
Un contexte allemand spécifique
L’Allemagne se remet très mal encore de l’attentat au camion bélier perpétré le 19 décembre dernier contre un marché de Noël à Berlin, par un terroriste tunisien radicalisé dans les prisons italiennes, Anis Amri. Les premiers dirigeants allemands, qu’il s’agisse du président fédéral Joachim Gauck, et de celui du Bundestag, Norbert Lammert ou de la Chancelière Angela Merkel sont tous connus pour le soutien substantiel qu’ils n’ont jamais manqué de témoigner à la Tunisie dès le déclenchement de la révolution. Un engagement que les populistes xénophobes et islamophobes leur reprochent aujourd’hui fortement. Plus particulièrement exposée à ces attaques, Merkel qui entend rempiler en septembre prochain pour un quatrième mandat, en est bien impactée, sans pour autant y céder. Elle s’apprête d’ailleurs à se rendre en mars prochain à Tunis, y effectuer une visite qualifiée d’historique étant la première d’un chancelier allemand en exercice, depuis celle de Willy Brandt, il y a près de 45 ans.
Une position importante de l’Allemagne à l’international et des opportunités pour la Tunisie
L’Allemagne qui s’était déployée en juin 2015 pour inviter la Tunisie au Sommet du G-7 au réuni au Château d’Elmau en Bavière, doit accueillir et présider les 7 et 8 juillet prochain à Hambourg, le Sommet du G-20. Les dirigeants de 19 pays (+ de l'Union européenne) représentant 85 % du commerce mondial et 2/3 de la population mondiale débattront d’un thème qui ne peut plus nous concerner : La stabilité et le développement en Afrique. Sous la férule de la Chancelière Merkel, l’Allemagne se déploie pour promouvoir un Plan Marshall pour l’Afrique qui bénéficiera de fonds généreux notamment en faveur des énergies nouvelles et renouvelables, de la formation professionnelle et autres secteurs porteurs.
De précieuses opportunités
La Tunisie a beaucoup de bénéfices à en tirer. Elle peut en effet jouer un rôle de trait d’union entre l’Afrique du Nord et l’Allemagne, mais aussi abriter un grand centre régional de formation des qualifications professionnelles, un point focal pour les énergies, des points d’appui pour le développement de la microfinance, la création d’entreprise, l’agro-alimentaire et autres.
Sans oublier le rôle central que joue l’Allemagne au sein des différentes instances de l’Union européenne et des institutions financières internationales. La poursuite de son appui renforcé à la Tunisie sera cruciale. « C’est notre véritable premier partenaire et soutien », affirme à Leaders une source avisée.
Sécurité, défense, terrorisme et émigration clandestine : des préoccupations communes
L’autre volet sensible et déterminant dans les relations tuniso-allemandes est sans doute celui de la sécurité globale. Le cas d’Anis Amri illustre à lui seul l’enchevêtrement compliqué et dangereux des questions d’émigration clandestine, de radicalisation dans les prisons, de terrorisme et de menaces sécuritaires et militaires auxquels l’Allemagne, comme la Tunisie, est exposée. L’unique réponse consiste à bien organiser et consolider une coopération étroite qui dépasse la simple prise en charge sécuritaire, pour agir sur l’éradication des racines du mal. A menaces communes, ripostes concertées communes. Youssef Chahed, qui aura à ses côtés le ministre de l’Intérieur auront certes à rassurer leurs interlocuteurs allemands mais aussi convenir avec eux de nouveaux modes opératoires encore plus efficaces.
Au sujet de l’émigration clandestine, Angela Merkel abordera sans doute avec Youssef Chahed les modalités du rapatriement en Tunisie de ressortissants en situation illégale, notamment ceux qui pourraient présenter un danger pour la sécurité de l’Allemagne. La question est très sensible pour les deux pays et leurs opinions publiques. Les principes seront définis à leur niveau, et c’est à leurs ministres respectifs de l’Intérieur qui auront un entretien approfondi lors de cette visite d’en préciser les conditions.
Finances et investissements : des besoins urgents
« Ce qu’a déjà fait l’Allemagne pour la Tunisie est appréciable à sa juste valeur, déclare à Leaders une source diplomatique tunisienne. L’aide publique a été multipliée trois fois, ces dernières années pour être portée de 300 millions d’euros à 900 millions d’euros. Une bonne partie de la dette allemande, de 60 millions d’euros a été convertie en investissements de développement, dès les années 2012-2013. La Tunisie aspire à la poursuite de cet effort et souhaite qu’une nouvelle tranche de sa dette publique soit également convertie. »
L'Université tuniso-allemande et la formation des compétences
Un coup d’accélérateur est nécessaire à donner des deux côtés, au démarrage de
l’Université tuniso-allemande aux multiples impacts positifs. Destinée à accueillir en régime de croisière près de 3000 étudiants, en trois niveaux d’enseignement, la licence, le master et le doctorat, elle sera implantée sur 53 ha à Mornag, et nécessiterait des financement de l’ordre de 200 millions de dinars. Le projet avait été
soumis aux bailleurs de fonds lors de la Conférence Tunisia 2020, à la recherche des compléments nécessaires. Slim Khalbous, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qui sera de la visite à Berlin, aura à relayer les efforts de son prédécesseur Chiheb Bouden, pour boucler le schéma de financement.
Entre le qualitatif de la restauration de la confiance, l’opérationnel sécuritaire et le quantitatif économique et financier, la visite de Youssef Chahed trouve toute son importance. La Tunisie et l’Allemagne y ont grand intérêt.
Taoufik Habaieb
Lire aussi:
