News - 11.06.2016
Ridha Driss : le philosophe pragmatique
Il est l’un des plus discrets dirigeants d’Ennahdha, mais des plus significatifs. Ridha Driss, 54 ans, énarque et philosophe de formation, a été porté premier vice-président du bureau au récent congrès. A son compteur, en fait, près de 36 ans d’engagement militant, dont 26 longues années d’exil à l’étranger et plus de 30 ans de condamnation à la détention par contumace.
Derrière ce visage resté poupin et ce léger embonpoint se cache une certaine de modération dans ses expressions sans pour autant céder à ses convictions. Son ascension lors du congrès peut surprendre ceux qui ne connaissent pas Ennahdha de près et de longue date. Mais ceux qui du moins avaient suivi la préparation des sept motions soumises aux congressistes y ont perçu son empreinte discrète. Membre de la Commission du contenu présidée par Abderraouf Najjar, il s’était intensivement attelé à l’ouvrage. Deux ans durant, il aura fallu élaborer une méthodologie, tracer des objectifs et fixer des délais, puis faire porter le projet, le mettre en débat et le faire aboutir. L’ancrage profond au sein du mouvement, la connaissance des hommes et l’esprit dialectique y seront de grands atouts. La proximité avec Najjar, tous deux exilés de longue date en France et liés par une amitié et une confiance réciproques, facilitera la tâche. Parcours.
Le jeune lycéen qui adhéra en 1980 à Sfax au Mouvement de la tendance islamique montera vite dans la hiérarchie. Il se retrouvera porté président du bureau politique en exil et même président du Conseil de la choura, l’instance suprême entre deux congrès, pendant près de 10 ans, de 1992 à 2001. Mais aussi vice-président du chef du parti, Rached Ghannouchi. Autant de hautes responsabilités qui ne lui feront guère tourner la tête, encore moins sa discrétion et sa pondération.Encore plus, au lendemain de la révolution. Foulant de nouveau le sol national le 12 février 2011 pour la première fois après 26 ans d’exil, avec plus d’une centaine de ses camarades, dont Habib Mokni, figure emblématique d’Ennahdha, il ne sera guère grisé par «ce grand coup de l’histoire».
Calme et patient, Ridha Driss n’est jamais pressé. Il préfère laisser au temps faire son œuvre et mûrir les projets. C’est ainsi qu’il ne sera pas enthousiaste en faveur d’un engagement massif en candidatures lors des élections législatives du 23 octobre 2011. Ni, également, pour la constitution d’un gouvernement à majorité Ennahdha. Driss connaît bien la réalité de la société tunisienne, les grandes exigences économiques et sociales du pays, attisées par l’élan révolutionnaire, la modestie des ressources budgétaires et le manque d’expérience des cadres du mouvement dans la gestion gouvernementale.
L’histoire lui donnera raison. En pleine crise de l’été 2013, il sera élu par le Conseil de la choura, au lendemain de l’assassinat de Haj Brahmi, membre du «Comité des 20» chargé d’assister au quotidien le chef du parti, Rached Ghannouchi, dans l’analyse de la situation et la gestion des crises successives qui vont se déclencher. Driss sera d’un bon conseil, qu’il s’agisse de la rencontre historique Ghannouchi-Caïd Essebsi à Paris, ou de l’acceptation du principe de la démission du gouvernement Ali Laarayedh, la signature de la feuille de route le 6 octobre 2013, la participation au Dialogue national, les accords consensuels pour la finalisation de la Constitution, et autres. Ridha Driss a toujours privilégié une vision d’avenir bien raisonnée et appelé à une évolution proactive en fonction des mutations du contexte.
Des valeurs fondatrices
Cette attitude, il l’a héritée de son grand-père, Hassine Chakroun, artisan-menuisier de grande réputation, porté amine de la corporation à Sfax. Nationaliste, il ne ménageait pas ses critiques quand il le faut à Bourguiba, surtout pour ce qui est du confit avec Salah Ben Youssef, et érigeait le patriotisme en méta-valeur. Ce moule familial se forgera davantage au Lycée du 15 Novembre, connu pour la tendance nationaliste arabe et zeitounienne de nombre de ses enseignants, et s’affinera d’une autre manière au ciné-club.
Fameuse institution culturelle, mais aussi politique, à Sfax, le ciné-club avait servi en 1970 de première tribune d’expression à Aziz Krichen et suscité la vocation des Nouri Bouzid, Mohamed Damak et autres Moncef Dhouib. Ils étaient en prison ou partis en France lorsque Ridha Driss commencera à fréquenter cet espace. Il y fera connaissance avec ... Mohsen Marzouk, alors lycéen, et Maya Jeribi, nouvelle étudiante en sciences de la terre... Lui était déjà engagé dans la mouvance lycéenne islamiste du MTI. Bachelier, il montera à Tunis pour s’inscrire en philo à la faculté des Lettres où il sera rejoint par Marzouk mais rencontrera surtout Ajmi Lourimi, Houssine Jaziri, Rafik Abdessalem et d’autres étudiants qui seront ses compagnons de lutte.
Ibn Khaldoun
L’effervescence de l’université tunisienne à l’époque et l’engagement militant rendaient difficile la réussite universitaire pour les plus actifs. La répression policière se faisait en plus harcelante et menaçante. L’idée de partir poursuivre les études à l’étranger devenait tentante. C’est Lajmi Lourimi qui sera le premier du groupe à franchir les frontières pour s’installer au Maroc. Ridha Driss le rejoindra pour des études de philo à Fès, puis s’inscrira à l’Ecole nationale d’administration, à Rabat. Etudes réussies, il se rendra à Paris pour préparer une maîtrise en philo à la Sorbonne qui lui ouvrira la voie du DEA. Son thème de prédilection a été Ibn Khaldoun. Il lui consacrera son mémoire de maîtrise en philosophie, dirigé par Jeanine Quillet, à l’Université Paris XII, sous le titre de «Religion et politique chez Ibn Khaldoun d’après Al-Mouqqadima». Il sera publié en Algérie par la SNED en 1994. Le chercheur universitaire s’arrêtera là, son intense implication politique l’empêchera de poursuivre son doctorat. Le devoir de subvenir aux besoins de sa famille l’orientera vers la promotion immobilière. Le philosophe et militant politique deviendra alors chef d’entreprise et apprendra alors à jongler avec bilan comptable et impératif de rentabilité, une autre logique.
Le congrès terminé, réélu membre du Conseil de la choura, Ridha Driss se remet à la réserve d’Ennahdha. Enthousiasmé par le nouveau projet de restructuration interne, la mise en place des nouvelles instances et structures et la mise en œuvre de toutes les décisions adoptées. Quelle place occupera-t-il dans le nouvel organigramme qui se construit ? «La même que j’ai toujours eue, celle d’être utile et d’exprimer sincèrement mes points de vue», répond-il avec modestie.
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Les Commentaires
Faycal - 12-06-2016 08:54
J ai connu l homme de très près et de longue date Un des sages de la Tunisie Penseur stratégique Patience infinie Espérant l avoir au devant de la seine politique
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