News - 03.06.2016

Pourquoi BCE veut-il un Gouvernement d’Union Nationale?

Pourquoi BCE veut-il un Gouvernement d’Union Nationale?

Le Chef de l’Etat a présenté le 2 juin 2016, sur une chaîne de télévision, une nouvelle initiative consistant à former ce qu’il appelle un Gouvernement d’Union Nationale.Il rejette par la même occasion l’alternative d’un Gouvernement de Salut qui, à ses yeux, n’a aucun bien-fondé.On sait que ce concept est le fait de l’opposition qui considère que le pays est dans un état extrêmement grave et qu’il faut mobiliser toutes les ressources pour le sauver. De par son tempérament, BCE ne partage ce pessimisme radical. Il n’entend pas non plus en accepter les conséquences politiques. Car ce serait là un constat d’échec total de l’action gouvernementale dont le premier responsable est Nida et ce serait faire une grosse concession à l’Opposition.

BCE préfère procéder autrement en entretenant délibérément l’ambiguïté et en évitant, au nom de la sagesse, les jugements « nihilistes ». Sa posture, durant l’interview, reste péremptoire. Mais, c’est la première fois qu’il renonce à ses jugements absolument laudatifs des « performances » de son gouvernement. Sans pourtant, verser dans la critique virulente. Il le critique d’une manière douce, nuancée, euphémique. On a donc eu droit à une palette d’attitudes de BCE : il est affirmatif et catégorique quant à la gestion présidentielle du pays et aux problèmes du vécu du citoyen, sceptique sur le rendement du gouvernement, ouvert à la relance du débat politique, mais d’une manière discriminatoire.
Dans la nouvelle formation gouvernementale, il exige l’implication de l’UGTT  et de l’organisation patronale, mais pas nécessairement de l’Opposition. Cette démarche suscite les questions et les réflexions suivantes:

  1. De toute évidence, BCE s’inspire du modèle du quartet qui a été à l’origine de plusieurs solutions consensuelles et qui a été récompensé par le prix Nobel. Cette alliance, advenue dans le cadre de la société civile, a réussi à faire sortir le débat national du « dialogue de sourds » des partis politiques pour le situer au niveau de l’intérêt national. Il a ainsi aidé les partis politiques à dépasser, du moins provisoirement, leurs querelles et dévotions passionnées, et a réussi, d’une certaine manière, à « stabiliser » le cheminement du pays vers des sorties de crises en dépit des lamentables tiraillements politiques de partis farouchement opposés les uns aux autres.
  2. Néanmoins, la transposition de ce modèle dans le contexte actuel est loin d’être justifiable. Cette alliance est dorénavant censée s’organiser dans une situation extrêmement difficile, devenue ingérable, en relation avec un quartet qui est au pouvoir et qui a un bilan dérisoire.
  3. BCE donne à entendre que les problèmes majeurs du gouvernement seraient liés aux bras de fer opposant les deux organisations ouvrière et patronale à la politique gouvernementale. Des noms de ministres ont même été cités par BCE, dont celui de la santé et celui de l’éducation. D’ailleurs, il a fait allusion à quatre ministres qui seraient dans l’œil du cyclone de l’organisation ouvrière.
  4. De l’UTICA, il a été très peu question. On a l’impression que BCE voudrait impliquer cette organisation pour masquer les concessions qu’il fait exclusivement à l’UGTT avec la garantie, en contrepartie, de la « paix sociale ».
  5. Mais l’approche  de BCE est-elle erronée ? Car comment justifier l’engagement dans l’exécutif de deux organisations censées être politiquement indépendantes et constituer des contre-pouvoirs par rapport au gouvernement ? Cela s’appelle autoriser et banaliser les conflits d’intérêts. L’ « intérêt supérieur de la Nation » pourrait servir à masquer les intérêts corporatistes.
  6. Comment parler d’union nationale en l’absence de l’Opposition politique qui reste en marge du pouvoir et n’entend sans doute pas y adhérer dans l’immédiat ? La conception et la dénomination du gouvernement ne sont donc pas appropriées.
  7. Le Chef de l’Etat a discrédité sereinement et « diplomatiquement » son gouvernement. Il a cherché à justifier les faiblesses de son bilan par le contexte, le manque de moyens, son inaptitude à imposer la loi. Il a toutefois clairement indiqué que si le gouvernement était plus énergique et plus audacieux en imposant la loi, son rendement aurait été meilleur.
  8. BCE sait parfaitement bien que son initiative créera un débat polyphonique – à mes yeux, plutôt cacophonique- qui donne l’illusion que la vie politique sort de sa léthargie. Mais BCE sait que son initiative n’aboutira qu’à un constat d’échec dû, comme il pourrait le dire plus tard, aux calculs « politiciens » de l’UGTT, aux inextricables discordes des acteurs de la scène politique. Lui, au moins, aura eu le mérite d’avoir produit cette initiative qu’il inscrira parmi ses réussites. Le SG de l’UGTT n’a pas tardé à lui envoyer le message prévisible du niet.
  9. BCE a compris qu’il ne pouvait plus, dans ses discours adressés au peuple, continuer à soutenir un gouvernement qui manque d’énergie, de vision, d’audace. Mais, il sait aussi pertinemment que s’engager dans un remaniement ministériel dans le contexte actuel est une aventure trop risquée, vu la position de son parti Nida qui a perdu sa majorité parlementaire et s’enlise dans ses divisions. Les islamistes n’hésiteraient pas à saisir cette occasion pour faire valoir les droits que leur donne leur majorité à l’Assemblée.
  10. Faut-il en conclure que BCE se livre à une manœuvre politique qui aura au moins le mérite de secouer, de déstabiliser son gouvernement, en brandissant le spectre (fort sinistre dans notre pays !) de la révocabilité. Cette initiative lui permettra aussi de jauger les nouveaux équilibres ou déséquilibres de la scène politique tunisienne, tout en mettant les uns et les autres à l’épreuve « alléchante » d’être au sein même du pouvoir exécutif, ce qui peut générer des intérêts, des convoitises et, par conséquent, des tendances au compromis. Au sein de cet échiquier, et sur ce registre, BCE sait que la Jabha resterastoïquement imperturbable, et résolument hostile, et ne cessera jamais de mettre en cause l’alliance de BCE avec le parti islamiste. C’est la raison pour laquelle il l’écarte d’entrée de jeu. La preuve que BCE aurait voulu donner aux citoyens qui ne le savent pas encore, est que l’UGTT s’inféode du côté de l’Opposition de gauche.
  11. Le discours de BCE se situe donc au niveau du faire politique pur.Il déçoit le citoyen confronté aux difficultés matérielles quotidiennes. On s’attendait à des mesures concrètes de maîtrise des prix, de solidarité, à un discours qui rassure quant au futur proche de la Tunisie, mais on a eu droit à une démarche foncièrement anxiogène. Le Chef de l’Etat insiste sur la gravité de la situation du pays mais ne dessine aucun horizon d’amélioration. Par ailleurs, cette situation ira se détériorant encore du fait du premier fossé que le Président a creusé entre l’équipe gouvernementale et lui. Dorénavant, les ministres savent que leurs postes sont en cause et que le contrat de confiance qui les liait au locataire de Carthage est ébranlé.

Jamil Chaker

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