Nous avons appris avec une très grande tristesse le décès du Professeur Boutros- Boutros Ghali à l’âge de 97 ans (il est né le 14 novembre 1922 au Caire). Il a été sans nul doute l’un des universitaires spécialistes en droit international public les plus brillants au niveau national et international. Parfait trilingue (arabe, français et anglais), il a marqué par ses contributions doctrinales, par ses enseignements, par ses conférences des générations de juristes, et notamment des juristes arabes, africains et du tiers monde. Il a été l’un des premiers, si ce n’est le premier, à faire connaître les organisations régionales, grâce à sa remarquable thèse de doctorat d’Etat en droit intitulée : Contribution à l’étude des ententes régionales soutenue en 1949, à l’Université de Paris et publiée la même année par les éditions Pedone. Il a été également le premier à consacrer des ouvrages à l’Organisation de l’Unité africaine (Librairie Armand Colin, 1969), au Mouvement afro-asiatique (PUF, 1969), à la Ligue des Etats arabes (Académie de droit international de La Haye, 1972) et aux Conflits de frontières en Afrique (Editions techniques et économiques, 1973). B. Boutros-Ghali a enrichi la bibliothèque juridique internationale d’une quarantaine d’ouvrages dans les trois langues.
Mais B. Boutros-Ghali ne s’est pas contenté d’être un universitaire, un théoricien du droit et des relations internationales. Il a été un homme politique de premier ordre.
Dans son pays, il a occupé diverses hautes fonctions, dont celle de ministre d’Etat aux affaires étrangères. Il a été le principal artisan de la visite du Président Sadate à El Qods occupée et des traités de Camp David (Voir son ouvrage : Le chemin de Jérusalem).
Au niveau international, il a été un brillant Secrétaire général de l’ONU (premier africain et arabe à avoir occupé ce poste) et un non moins brillant Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie.
B. Boutros-Ghali a été Secrétaire général de l’ONU pendant un seul mandat de 5 ans (1992 – 1996). Il a été le plus productif, le plus imaginatif et le plus engagé de tous les SG qu’a connues l’ONU. Son œuvre aussi bien doctrinale qu’opérationnelle a tourné autour de trois axes fondamentaux qui ont métamorphosé l’ONU : Paix, développement et démocratie. A cet effet, il a produit trois rapports appelés agendas, car assortis de mesures pratiques et de calendriers d’exécution. Ces trois rapports ont été à l’origine de réformes de structures et de méthodes au sein de l’ONU jamais tentées. B. Boutros-Ghali n’a pas été réélu pour un deuxième mandat, contrairement à ses prédécesseurs : [le Birman, U Thant (1961 – 1971) ; l’Autrichien, Kurt Waldheim (1971 – 1981)] et à ses successeurs [le Nigérian, Kofi Annan (1996 – 2006) et le Coréen du sud, Ban Ki-moon (2006 – 2016)]. La raison de la non reconduction de B. Boutros-Ghali est bien connue. Il a rendu public, le 7 mai 1996, malgré l’opposition des Etats-Unis et d’Israël, le rapport, accablant pour l'armée israélienne, sur le bombardement du camp des Nations unies à Cana (Liban) (opération raisins de la colère) qui avait fait une centaine de morts parmi les civils libanais le 18 avril 1996. Les Etats-Unis avaient alors multiplié les pressions pour éviter qu'il ne soit rendu public et porté à la connaissance du Conseil de sécurité. Boutros Boutros-Ghali a choisi au contraire de donner le maximum de solennité au document, qu'il a signé de sa main pour lui donner plus de poids.
Concernant se relations avec la Tunisie, B. Boutros-Ghali a visité notre pays plusieurs fois que ce soit dans un cadre universitaire, comme membre du premier jury d’agrégation en droit public en 1973 ou dans un cadre politique en tant que ministre égyptien en 1989, ou en tant que Secrétaire général de l’ONU.
Personnellement, je garde de mes rencontres avec B. Boutros-Ghali, deux souvenirs :
- Le premier, se situe en 1995, à l’occasion d’un symposium organisé dans le cadre de la célébration du 50è anniversaire de l’ONU au siège de l’Organisation à New-York. J’avais exprimé à notre représentant permanent auprès de l’ONU, Si Sleheddine Abdellah mon souhait de saluer le SG de l’Organisation. Nous étions dans la salle de l’AG. Nous attendions, avec mon collègue Slim Laghmani et mon épouse que le SG prononce le discours de clôture du symposium, quand une voix retentit dans la salle demandant à ce que je rejoigne le bureau du SG attenant à la salle de l’Assemblée. Ce fut un moment de retrouvailles extrêmement émouvant (voir photo).
- Le deuxième se situe au mois de mai 2014, je lui ai rendu visite au Caire dans son bureau au siège du Conseil national des droits de l’homme. Il était malgré son âge avancé comme je l’ai connu. Pétillant d’intelligence. Nous avons longuement discuté des « printemps arabes ». Durant cette rencontre, à laquelle assistait notre collègue égyptien, Aymen Salama, B. Boutros-Ghali m’a fait un merveilleux et ultime cadeau : Il a accepté d’être membre du Comité d’honneur du Recueil d’études que m’ont dédié mes collègues, amis et étudiants. En le quittant, il me dit : « c’est en travaillant chaque jour au moins cinq heures que je parviens à rester debout ».
Avec la disparition de B. Botrous-Ghali un monument de la science juridique, de la diplomatie et de la politique s’en va.
Nos condoléances vont à sa famille, à sa patrie et à la communauté internationale des juristes.
Rafâa Ben Achour
Professeur émérite