Mustapha Ben Letaief, son PDG : La Télévision tunisienne est un cas spécifique
Avec 1 230 salariés dont 162 journalistes, un budget plombé à plus de la moitié par la masse salariale, 28 MD de dettes et toute une refonte institutionnelle et managériale à entreprendre, la Télévision tunisienne rame à assurer une mission de service public à la mesure des nouvelles attentes. Les projets ne manquent pas : une chaîne parlementaire, d’autres chaînes thématiques, une web TV et autres. Mais, il y a tout le quotidien à assurer. Financée essentiellement par la redevance et une dotation d’équilibre consentie par le budget de l’Etat, elle peine à boucler ses comptes. Diagnostic et solutions par son PDG, Mustapha Ben Letaief.
La Télévision nationale souffre des séquelles de plusieurs décennies de gestion irrationnelle et de mauvaise gouvernance en liaison avec le contexte autoritaire et du fléau croissant de la corruption, particulièrement durant les trois dernières décennies. Cette situation, conjuguée avec le contexte transitionnel très instable après 2011 marqué par la perte de boussole politique et la confusion entre liberté et anarchie, n’a pas facilité les choses.
Aujourd’hui les difficultés sont multiples:
- situation financière très délicate avec des dettes héritées de 28 million de dinars environ,
- des comptes non approuvés depuis plusieurs années
- une masse salariale très élevée représentant environ 54 % du budget
- des recettes publicitaires en recul devant une concurrence de plus en plus acharnée et une aide de l’Etat insuffisante compte tenu de la situation des finances publiques dans le contexte actuel.
- des sureffectifs importants (1 230 environ), mais à cause d’une politique de recrutement peu rationnelle et peu ciblée, l’entreprise souffre de manque de compétences dans certaines fonctions clés comme l’audit interne, les finances, la gestion des stocks, GRH, la formation, les marchés et l’approvisionnement, la communication, le marketing, le webmaster, la direction artistique…). Cela rejaillit sur l’organisation et la gestion qui souffre notamment des maux suivants : absence de tableau de bord de gestion, de manuels de procédure, de gestion prévisionnelle, de grille des métiers, de normes de production, de plan d’amortissement des équipements de production, faiblesse de la culture de la planification et de l’évaluation...),
- problème de qualité des contenus lié à des questions d’imagination et d’inventivité mais également de motivation et de moyens
- vétusté des principaux équipements techniques qui remontent pour l’essentiel à 2001. La Télévision tunisienne est l’une des dernières dans les pays arabes ne diffusant pas encore en haute définition.
Certes les décrets-lois 2011-115 et 116 constituent des progrès substantiels réduisant les interférences externes mais le cadre juridique propre à la Télévision tunisienne demeure inadapté avec une loi remontant à 2007 et les décrets lui succédant, un statut et un organigramme obsolètes.
Il y a aussi une certaine résistance au changement et certaines forces refusent tout changement ou rationalisation et bloquent les réformes par crainte de remise en cause de positions ou d’intérêts particuliers pas toujours légitimes. Les difficultés sont ainsi énormes et demandent un travail de longue haleine et une volonté réelle de changement appuyée par les pouvoirs publics et la société civile.
La Télévision tunisienne a besoin d’une vision claire et d’un projet audacieux, en prise avec son époque (mutabilité). Parce que le pays, le paysage audiovisuel et la technologie (HD et THD) ont changé.
La télévision publique est un enjeu politique majeur en tant qu’élément fondamental de notre identité culturelle et de notre vision démocratique lieu où se crée une culture et s’exprime le «vivre ensemble».
Ses fonctions sont multiples, mais sa spécificité de média public lui impose indépendance, singularité, éthique et intérêt général.
La feuille de route pour l’entreprise porte sur une nouvelle grille, un nouvel organigramme, un texte relatif aux contrats audiovisuels, le lancement d’une chaîne parlementaire, la concertation sur la stratégie pluriannuelle (contrat-programme), la mise en place de programmes éducatifs et le lancement d’un site web d’info interne
Un contrat-programme pluriannuel, parallèlement au plan national de développement, avec une stratégie de réforme, devrait être élaboré d’ici la fin de l’année et proposé pour négociation et signature aux pouvoirs publics compétents.
Ce contrat, une sorte de business plan, devrait fixer les obligations, les objectifs de l’entreprise et les moyens nécessaires à leur atteinte ainsi que les engagements des pouvoirs publics avec un suivi et une évaluation périodique réguliers. Il devrait constituer le référentiel pour rationaliser l’organisation et la gestion, réformer des statuts de l’entreprise et de son personnel, mettre en place des stratégies de rationalisation et de formation des ressources humaines et de gouvernance financière et de financement, notamment l’aide publique, la publicité, la production de contenu, moderniser les équipements, réviser la réglementation, diversifier les programmes, lancer d’autres chaînes, notamment une chaîne parlementaire et la web TV.
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